Chapitre 4

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 Jo reposa le manuscrit qu'elle venait de terminer. Etonnamment, elle ne saurait dire si elle l'aimait, l'appréciait, l'envisageait, le détestait... Non pas que la lecture l'ait laissée de marbre, bien au contraire : elle était tellement retournée qu'elle se perdait dans ses ressentis, et n'arrivait pas à savoir d'où venait cette émotion. Ou bien ces émotions ? Il n'y avait pas à dire, cette lecture l'avait vraiment chamboulée... Elle tourna la tête vers la pendule accrochée au mur, et découvrit avec stupeur qu'il était déjà bientôt 20h ! Shit ! Elle avait promis à son agent de le rappeler vers 18h. Elle chercha son téléphone dans sa poche, mais il y brilla par son absence. Où Diable était-il passé ? Il est vrai qu'elle était loin d'être en permanence rivée à son écran, comme la plupart des zombies du XXIe siècle éblouis par leurs appareils comme des lièvres devant les phares d'une voiture. Elle était régulièrement consternée devant le spectacle ahurissant de ses contemporains hypnotisés par leurs téléphones, incapables d'attendre un bus ou simplement de patienter dans une file d'attente plus de quelques secondes avant de sortir leur précieux rectangle connecté... Toutefois, ce détachement de sa part entraînait de nombreuse recherches quotidiennes pour le trouver quand elle en avait besoin.

Elle souleva le manuscrit pour voir s'il n'était pas dessous. Non. C'eut été trop facile. Elle chercha entre les autres dossiers pour voir s'il ne s'y était pas faufilé. Non plus. Par terre sous sa chaise peut-être ? Nope...

« Bon, réfléchis un peu... se dit Jo. Où Diable l'as-tu vu pour la dernière fois ? »

Elle qui pouvait apprendre avec une rapidité déconcertante tout un texte avait toujours un mal fou à visualiser cet appareil. Elle se concentra et focalisa la totalité de ses sens et de son énergie pour se rappeler... L'avait-elle ne serait-ce que regarder aujourd'hui ? Concentre-toi, contre-toi... Oui ! Ca y était ! Elle l'avait regardé ce matin afin de voir les mails reçus dans la nuit, avant de faire un tour sur ses notifications Twitter, Instagram et Facebook... Même si elle savait que quelqu'un de l'agence était payé pour gérer ses comptes officiels, elle aimait tout de même avoir un œil dessus : après tout, c'était son nom à elle qui apparaissait. Mais après cela, qu'avait-elle fait ?

Comme elle ne le visualisait nulle part, elle décida de retourner dans la cuisine où elle avait pris son thé plus tôt dans la journée. Bingo ! Son téléphone était posé là, sur la table, endormi... Tout en secouant légèrement la tête par désespoir envers ses mauvaises habitudes, elle se saisit de l'objet et le réveilla de sa torpeur. Là, l'écran lui hurla noir sur blanc ses 17 appels en absence et 6 messages vocaux, tous de Jack.

« Il va me tuer » pensa-t-elle tout en le rappelant sans prendre la peine d'écouter ses messages, ni de lire les sms reçus en parallèle.
« J'espère que tu as une sacrément bonne excuse, lança la voix à l'autre bout du combiné
- Je suis vraiment, vraiment désolée : j'étais en train de lire l'un des manuscrits que tu m'as fait parvenir, je n'ai pas vu le temps passer...
- Dis plutôt que tu m'as complètement oublié ! Tu sais, tu es certes ma cliente la plus populaire, mais tu es loin d'être la seule... »

Aïe ! Si Jack se lançait dans son laïus sur son travail et ses nombreux clients, c'est qu'il était furieux au plus haut point. Elle savait qu'à ce stade, il avait même dû vouloir ne pas décrocher et ne l'avait fait probablement que pour pouvoir lui tenir son discours. Elle doutait même qu'il lui dirait pourquoi il tenait tant à ce qu'ils se parlent aujourd'hui... Dans un souci de diplomatie – et parce qu'elle était fautive – elle patienta jusqu'à la fin du long monologue de son interlocuteur, passant par la mentalité des artistes d'aujourd'hui, le respect perdu, le nombrilisme contemporain, mais aussi la place des impresarios dans la société d'avant, les technologies, les inégalités sociales, les différences homme-femme,... C'était d'ailleurs durant ce passage qu'elle rongeait le plus son frein et prenait particulièrement sur elle pour ne pas entrer dans le conflit. Elle se répétait qu'elle lui avait poser un lapin – téléphonique, certes, mais un lapin quand même – donc il était normal qu'elle fasse un effort.
« ...mais bon, on ne va pas refaire le monde, conclua-t-il
- Encore une fois, je suis désolée. Tu sais que ce n'est pas mon genre de manquer à mes engagements.
- Ca va pour cette fois. Mais j'apprécierais que tu n'oublies pas la prochaine fois. Sans oublier que tu sais à quel point Jenny déteste que je travaille une fois à la maison ! »

DilEmmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant