Chapitre 48

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 La réunion avec l'équipe s'était très bien passée : tout le monde était ravi de se revoir, même si Claire manquait à l'appel à cause d'un retard de vol. Retenue dans les airs, elle avait envoyé quelques notes rapides et leur avait donné rendez-vous au petit-déjeuner le lendemain. Certaines dates avaient légèrement été modifiées, mais il n'y avait pas de réel grand changement. Emma et Johanne auraient finalement le lendemain pour se remettre de leur voyage, voir Claire, et se préparer pour une première série d'interviews en ville le surlendemain.

La présentation ayant été faite en anglais, ce fut avec difficulté qu'Emma dut se mettre dans le bain de la langue après les émotions fortes survenues un peu plus tôt. Johanne lui proposa de se retrouver toutes les deux au bar afin de lui faire un debrief en français au cas où, ce qu'elle accepta avec plaisir. Ce dernier fut plus grand encore lorsqu'elle se rendit compte qu'elle avait bien compris l'ensemble des informations, et que la discussion prit rapidement une tournure plus amicale que professionnelle, surtout après le deuxième verre.

Les heures passèrent et le deux femmes ne pouvaient se résoudre à stopper ce moment intime et sécurisant : dans un tel lieu public, elles savaient qu'elles ne feraient aucun faux pas et n'avaient donc pas à gâcher de l'énergie dans une attention excessive de chaque instant. Pourtant, l'alcool n'aidant pas, leurs sentiments illuminaient la pièce. Ils le faisaient toutefois d'une façon si naturelle que personne ne remarqua leurs mains posées sur le bar, l'une par-dessus l'autre, ni l'index de Jo caressant celle d'Emma. Les gens n'étaient pas nombreux et la pièce finit par se vider lorsqu'arrivèrent les environs de 22h. Les deux amies durent alors se résigner à remonter dans leur chambre, ignorant l'une comme l'autre comment elles faisaient pour tenir encore debout malgré la fatigue qui pesait sur leurs épaules. En réalité, elles n'étaient pas particulièrement résistantes mais plutôt réfractaires et apeurées à l'idée de cette première nuitée commune sous le même toit, dans le même lit, leurs deux corps sans aucune séparation pour ne pas sombrer l'un dans l'autre.

Le malaise commença à s'installer dès que Johanne appuya sur le bouton d'ascenseur. Emma prétexta une soudaine envie de se dégourdir un peu pour emprunter les escaliers afin d'échapper à la proximité que créerait la boîte métallique. Elle comprit son erreur avant même d'arriver au premier palier : chaque pas la rapprochait physiquement de la situation qu'elle désirait et fuyait avec ardeur. Chaque marche était un obstacle franchi et une barrière protectrice enjambée. Le temps ne s'en trouvait que rallongé, ce qui multipliait ses pensées perdues et offrait davantage d'espace pour l'angoisse qui la rongeait. Monter dans cet ascenseur aurait été tellement plus rapide... Plus intense, il est vrai, mais cela aurait duré moins d'une minute. Tandis que là... les minutes se multipliaient comme des lapins en rut. Elle avait lu quelque part qu'une femelle pouvait avoir plus de 400 descendants en un an seulement ! Oh non : son esprit s'égarait encore... mais pourquoi filait-il toujours vers l'image de lapins ? Il faudrait qu'elle se penche un jour sur la question...

Elle regarda le panneau devant elle : il indiquait qu'elle se trouvait au deuxième étage. Comment le temps pouvait-il s'écouler si inexorablement, tout en paraissant aussi lent ? Elle était à la fois déjà et seulement à mi-parcourt. Elle sentit un poids se poser sur sa poitrine et se concentra sur sa respiration. Ce n'était que des escaliers, qu'un lit... qu'une amie. Elle avait passé l'âge, il était temps qu'elle se reprenne ! Une résolution qui s'évapora dans les airs dès qu'elle vit la porte du quatrième étage apparaître.

Il lui fallut un petit peu de temps pour se repérer lorsqu'elle arriva dans le couloir : les escaliers étaient un peu éloignés de l'ascenseur, ce qui la força à un effort de concentration afin de retrouver la porte de sa chambre. De leur chambre. D'autant plus que Johanne n'était pas là ; Emma en déduit qu'elle était rentrée. Ce qu'elle ignorait, c'est qu'elle l'avait manquée de quelques secondes seulement.

DilEmmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant