Chapitre 18

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Je m'affale sur une des chaises noires de la cuisine.

Mon manuel de microbiologie devant moi. Je n'arrive pas à me concentrer.

Je me lève, je tourne, je marche, je bouge, je ne tiens décidément pas en place. Cela doit faire une demie heure que je me force à lire chaque petite chose de cet abominable livre. Je n'ai pas l'impression de retenir grand chose, mais je suis actuellement capable de citer chaque scientifique ayant contribué au développement de la microbiologie du XVIème jusqu'au XXI siècle. C'est sans doute la chose la plus inutile que j'ai à apprendre.

Hélène sort de la salle de bain, elle marche à pas de loup et vient s'asseoir à mes côtés. Kai dort dans la chambre.

- Alors, cette première journée? Me demande-t-elle pleine d'espoir.

- Affreuse, je n'ai pas réussi à manger, le guide de ce matin était complètement bourré, j'ai aidé quelqu'un qui s'était évanouie et depuis il me suit partout. J'ai eu un contrôle surprise que j'ai probablement ratée, bref, je sens que ça va être la routine. Et toi? 

-  Ca se passera mieux demain, j'en suis sûre. Il te faut un temps d'adaptation, c'est tout. J'ai pas fait grand chose je t'avoue, j'ai rangé nos affaires, fait des machines de nos vêtements sales. J'ai pas encore été faire les courses je pensais que tu allais rentrer plus tard.

Je bouillonne, elle n'a pas été faire les courses. J'ai l'impression de porter tellement de poids sur mes épaules que j'en oublie que je ne suis pas seule. Je me suis ressaisi avant de dire quelque chose qui dépasse ma pensée, encore.

- T'inquiète, faut que je vienne avec toi de toute façon. Et Kai, ça a été?

-  On a connu mieux, il a eu pas mal de convulsions, il a vomi une fois parce que j'ai essayé de lui faire avaler un bout de poulet. Je me dis que c'est peut être à cause de la fatigue accumulée ces derniers jours. Et puis il n'a plus de voix dans la tête pour le moment, le produit fait effet.

J'acquiesce.

Mon ami le plus proche ne doit pas devenir un de ceux que j'ai pu observer ce matin. Il ne doit pas ce retrouver dans un lit blanc, intubé, branché à des dizaines de machines, sans vie. Il ne le supporterai pas. De plus, il ne nous le montre plus tellement parce qu'il sait que ça nous inquiète, mais sa plus grande phobie c'est de mourir. Je n'ai jamais trop compris pourquoi, mais je ne peux pas le juger pour ça. Parfois, quand Kai sent que la mort est trop proche de nous, il fait des crises d'angoisses terribles.

Je chasse les pensées négatives de mon esprit.

- On va faire des courses? Je demande, ça nous changera les idées.

Et accessoirement ça m'arrachera à ce livre.

J'ai enfin retrouvé un semblant de pensées de normale, comme une adolescente normale dans un monde normal.

- Oui! Me répond t-elle avec engouement.

Nous nous aventurons dans les rues de la citadelle. Nous sommes près de notre immeuble, je n'ai pas exploré celles-ci ce matin. Contrairement au complexe scientifique, ici , tout est décoré pour les fêtes. Noël est dans quelques jours. Ce genre de traditions me paraît lointaine. Un énorme sapin trône sur la grande place. Des guirlandes de toutes les couleurs ornent le haut des boutiques. Les vitrines sont pleines à craquer de boules de noël, de petits oursons blancs avec des chapeaux rouges et de pains d'épices.

L'esprit de Noël hante la citadelle.

Je sens mes sens être sur-stimuler, le bruit, l'odeur, les formes, c'est beaucoup.

Il y a des enfants qui sortent de cours tout en sautillant.

Des passants qui promènent leurs chiens. La vie est là.

Les grands immeubles se succèdent et s'empilent. Je n'ai croisé aucunes maisons, elles sont sans doute devenues trop chères.

Je me sens étrangère à ce monde. Je suis un fantôme, je ne leur ressemble pas. J'aimerais parfois redevenir une des leurs mais après tout ce que nous avons vécu c'est impossible. Jamais, je ne pourrais me sentir comme eux, tant qu'ils ne sauront pas ce que ça fait de vivre dans la forêt.

Notre attention se porte finalement sur un petit supermarché, simple sans artifices mais qui me semble le plus convenable. Et qui j'espère est le moins cher.

Dedans, les lumières blafardes éclairent les rayons, eux aussi décorés. Le caissier nous salue, je lui rends la pareille.

Je me promène dans le magasin. Je ressens la même chose qu'au réfectoire ; trop. Nous sommes loin des écureuils et des racines.

Nous n'avons pas fait de listes de courses. Je ne sais pas ce dont nous avons besoin, seulement quelques choses à manger pour se soir et pour les jours à venir. Et des copies doubles.

Je suppose que les plateaux auxquels nous avons eu le droit hier n'étaient que pour célébrer notre arrivée, ni plus ni moins. Je sélectionne du pain, de la soupe et d'autres choses déjà prêtes, je n'aurais plus qu'à les faire réchauffer. Je n'ai jamais été doué en cuisine, je ne veux pas prendre le risque de faire cramer l'appartement. Je retrouve Hélène à la caisse, elle a pris des légumes et du fromage. Je me surprends à dévisager la nourriture, les repas ne sont définitivement plus les mêmes, j'ai du mal à m'y faire.

Nous payons. Lorsque que nous sortons de la boutique, j'admire les guirlandes qui clignotent au-dessus de ma tête. Une idée me vient.

- Hélène, ça te dirait de fêter noël cette année?

Elle me sourit de toutes ses dents.

- Avec plaisir, ce serait notre premier noël tous ensemble.

- Oui, c'est vrai.

La joie me contamine instantanément à cette pensée.

Premier noël depuis des années, accompagné de mes plus précieux amis.

Je ne sais pas si c'est une bonne idée, ce sera un noël vide. Mais ça changera un peu de ce que nous avons l'habitude de faire.

SacrificeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant