Chapitre 1 - Chanaé

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Je fixais le plafond de ma chambre, étalée sur mon lit, quand un hurlement me tira de mon ennui en ce lourd mois de mai.
- CHANAÉ !!
La porte de ma piaule s'ouvrit brusquement et ma mère, le visage déformé par la colère, me montra son téléphone.
- C'est la troisième fois du trimestre que tu frappes un élève !
- Ouais, mais il m'a dit que j'étais polygame, en même temps ! Et puis il s'est moqué parce que je chantais I kissed a girl et il a dit que j'étais lesbienne aussi ! Il l'a mérité, et en plus... c'est même pas vrai, finissais-je avec une moue vexée. 

Ma mère s'assit à côté de moi, une goutte de sueur sur la tempe et un sourire angoissé aux lèvres.
- Si les gens t'embêtent, parles-en à quelqu'un qui peut t'aider mais...
- Ou alors, je frappe plus fort, suggérais-je en haussant les épaules. C'est une autre solution !
- La violence n'est pas une solution ! s'emporta ma mère.
- C'est LA solution. Enfin, souvent. 
- Tu sais quoi, j'ai réfléchi, annonça-t-elle. Si même une psychologue ne peut pas t'aider à contrôler tes accès de rage, tu pourrais en parler à des gens qui ont les mêmes problèmes que toi ?

Le samedi suivant, je me suis donc retrouvée devant une porte miteuse, annonçant un bâtiment miteux, vu que la facade semblait ne pas avoir été rénovée depuis la Seconde Guerre mondiale. Je vis rentrer juste avant moi une fille aux cheveux noirs, plus grande et plus âgée que moi. Je ne courus pas pour la rattraper, après tout, qu'est-ce que cela m'importait ? J'étais venue ici seulement pour faire plaisir à ma mère.
J'entrai, sans me poser beaucoup de questions, si les gens ici avaient soi-disant "les mêmes problèmes que moi" - cette expression me semblait d'ailleurs très péjorative, on aurait cru que j'étais folle... ce qui est peut-être, ou même sans doute le cas -, ça ne poserait pas de problème. 

- Ah ! Pardon... je ne t'avais pas vue. Tu viens d'arriver, ou tu étais là la semaine dernière ? J'étais malade, donc je n'ai pas pu venir. 
La fille au cheveux noirs me sourit après avoir prononcé ces trois phrases. Elle possèdait un léger accent que je n'arrivais pas à reconnaître, je pensais qu'elle venait du sud de la France, mais en général, le cours d'histoire-géographie se transformait en séance de dessin, alors je n'étais pas vraiment sûre. 
- Oh ! Je ne me suis pas présentée, continua-t-elle. Je m'appelle Plumy ! Je suis de Corse, de Corse du Sud plus exactement ! Et toi ?
- Cha- Chanaé ! Je viens de... bah, d'ici. 
- Oh, cool ! Tu es venue de toi-même, ou quelqu'un t'y a forcé ?
- C'est... ma mère qui m'a forcée. Elle en avait marre que je me prenne des renvois pour violence sur les autres élèves. Elle comprend pas que c'est de la légitime défense. 
- Hahahah ! C'est un peu pareil pour moi. Je suis venue ici un an habiter chez ma grand-mère pour un stage, et une amie m'a forcée à venir ici à cause des énormes crises qui me prennent quand on touche à mes proches. Même une petite bousculade, ça me met hors de moi ! Autant, moi, je m'en fiche, mais mes amis... 
Elle esquissa une grimace de dégout et de rage à la fois. 
- Désolée ! j'ai du t'embêter, avec mes histoires, après tout, on est censés en discuter avec tout le monde. Tu viens ?
- Oui ! je... j'arrive. 
Elle commença à partir, tandis que je regardais ses cheveux noirs se balancer derrière elle. Pourquoi est ce que j'avais bafouillé ? Elle avait l'air tellement cool, et tranchait tellement avec l'ambiance morne de cet endroit... 
Je sortis rapidement mon téléphone et notai un nouveau rappel : "se renseigner sur la Corse". 
- Tu viens ? me demanda Plumy depuis la porte. 
- Ouais ! lui lançai-je, en courant la rattraper. 
Peut-être que, finalement, ça n'allait pas être si mauvais que ça, ces séances de groupe de parole entre fous...

ChamyvièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant