Chapitre 12

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Morgan

— J’ai créé un monstre.

Je murmure ces mots à Prince en regardant Diamond pleurer toutes les larmes de son corps devant La La Land. La musique retentit, les jaquettes de films éventrées gisent sur le sol. Avec bien dix heures de visionnage de classiques à son actif, la jeune femme se retourne, les yeux rouges et bouffis, le teint blafard, ses mains de part et d’autres de son visage, écrase ses joues dans un rictus plus que connu et très peu élogieux. Les larmes et la morve en prime. 

— Elle pose pour une contre façon du cri ou je délire à pleins tube ? Demande Prince, comme s’il avait pu lire dans mes pensées. 

— Tu parles du tableau de Munch ? Celui même qui a inspiré le masque dans la saga Scream? 

— Celui-là même. 

Diamond capte notre attention. 

—  Ô Roméo ! Roméo ! Pourquoi es-tu Roméo ? Renie ton père et abdique ton nom ; ou, si tu ne le veux pas, jure de m'aimer, et je ne serai plus une Capulet.

Le desespoir se lit dans les yeux … de Prince. Il reculte doucement. Prêt à m’abandonner à mon triste sort. 

— Ho non mec, je te vois venir. 

— Ho non mec, tu me vois bel et bien partir ! Il continue à reculer, la pointant du doigt : tu as créé ça ! Tu le gères tout seul ! 

Avant que je n’ai pu dire un mot, il détale dans les escaliers. Je tente de le rattraper. Mais me retrouve nez à nez avec une porte fermé à clef. 

— Ouvre cette porte sale traitre ! J’ai même plus de chambre à moi !

— Pas de chance pour toi, je comptais me branler. L’intimité, tu connais le concept? 

— Tu demandes ça à un mec qui dort sur le putain de canapé ? 

— Lalala, la branlette ça rend sourd. 

— C’est une putain d’idée reçue, on en a déjà parlé ! 

Il ne répond plus. Le sale traitre préfère faire la sourde oreille. 

Je redescends les marches trainant des pieds, déconfit et surtout terrorisé par ce que je pourrais trouver dans mon salon. Sur mon putain de canapé, une to-do list est inscrite sur les pages d’un plan d’action que j'avais écrit moi-même. Elle en a rien à foutre de mes affaires. Je la regarde, intrigué. Je prends place à ses côté et tente d’attraper la page froissée. En vain. Tel un petit démon, un Gremlins peut-être, elle me l’arrache des mains. 

— C'est quoi, cette liste ? demandai-je 

Elle me fusille du regard mais finit par soupirer.

— Des choses que j’aimerais vivre avant de redevenir aussi froide que la banquise, dit-elle en évitant mon regard.

Je reste interdit un moment. Alors, elle a conscience de ce que ce Sérum l’empêche de vivre. 

— Comme quoi ? Faire un an de bénévolat, être à deux endroits à la fois, tu as carrément pompé “le temps d’un automne”. 

Elle hésite un moment avant de répondre.

— Moques toi, tu as raison. En attendant votre service de poste est vraiment lamentable, je suis sûre que mon père n’a même pas encore reçu votre torchon de lettre. 

Je touche ma poitrine faussement blessé, qu’est-ce que j’en ai à foutre qu’elle critique notre postier.

— Donc, je vais me servir de ce temps, beaucoup trop long pour… 

— Pour évoluer ? Je cite le film. 

— Ne rêve pas, je suis pas sûre que le porté de Dirty Dancing ou danser sous la pluie me fera évoluer ? 

Je grimaçe. 

— En effet… 

Mais je ne peux m'empêcher de sourire.

— Sérieusement ? Tu veux vraiment faire tout ça ?

Elle hausse les épaules, un brin de défi dans les yeux.

— Pourquoi pas ? 

Je hoche la tête, réfléchissant. Elle a l'air tellement plus vulnérable maintenant. Je me rends compte que je veux l'aider, même si cela signifie me ridiculiser.

— Je veux bien t’aider, mais je te préviens, je ne ferai pas le baiser de Spider-Man la tête à l’envers.

Pour un instant, je la vois bouder. Bouder vraiment ?

— Ok, j’ai une idée. Ce soir, habille-toi, nous sommes de sortie.

Elle fronce les sourcils, visiblement surprise par ma proposition.

— Je te signale que je n’ai que deux robes alors ça va être vite vu. Et puis, pourquoi faire ?

— Tu n’as qu’à ressortir ta nuisette Prada pour l’occasion. Tu verras !

Elle reste silencieuse un instant, réfléchissant.

— C’est un rencard ? demande-t-elle soudain.

— Ça fait partie de ta foutue liste ?

— Peut-être bien.

— Alors dis-toi que c’en est un.

Elle sourit timidement, et pour la première fois, je vois une lueur d'excitation dans ses yeux. Pendant qu'elle se prépare, je réfléchis à ce que nous pourrions faire. Un restaurant est hors de question, trop risqué. Mais certainement une balade nocturne, quelque chose de simple mais mémorable. Avec un peu de chance, peut-être qu’il se mettra à pleuvoir. 

Lorsque Diamond descend enfin, vêtue de sa robe, je suis surpris par sa transformation. Ses cheveux tombant en boucles soyeuses sur ses épaules. Elle est magnifique, mais je m’efforce de ne pas laisser paraître mon admiration. Heureusement pour moi, elle n’a pas remis sa nuisette Prada. Sa robe est noire, cintré. Cette seconde robe que je rechignais à lui acheter. Je ne lui refesurais plus jamais rien. 

— Prête ? demandai-je en lui tendant une main.

— Prête, répond-elle avec un sourire timide.

Nous sortons dans la nuit fraîche. Je l’emmène vers la voiture et nous roulons en silence jusqu’à la colline. En montant, je remarque qu’elle regarde par la fenêtre, perdue dans ses pensées. La route serpente à travers les arbres, et bientôt, nous arrivons à un petit parking surplombant la ville.

— Alors, dis-moi, qu’est-ce qu’il y a d’autre sur cette liste ?

Elle hésite un instant, puis sort le bout de papier de son soutien-gorge qui galbe sa poitrine à merveille. Je détourne les yeux alors qu’elle commence à lire quelques points.

— Faire de la poterie comme dans Ghost, la scène du Titanic, celle où ils se tiennent à l'avant du navire, bras écartés, criant "Je vole!". La belle et le clochard… 

— Vraiment ? Je la coupe, C’est tellement cliché. Elle fait mine de ne pas m’entendre. 

— La scène où ils partagent un plat de spaghetti et finissent par s'embrasser. Continue-t-elle.  C'est mignon et facilement recréable ! Le tour de bateau en gondole dans N’oublie jamais, d’ailleurs je n’ai pas encore fini de pleurer pour ce film. La scène Jennifer Garneret Mark Ruffalo dansent sur "Love Is a Battlefield" en pyjamas. Amusant et léger dans 30 ans sinon rien. La déclaration dans Love Actually avec les pancartes évidement ! 

Je souris.

Elle rit doucement.

Je ne réponds pas immédiatement. La vérité, c’est que je ne sais pas où tout cela va nous mener.

— C’est quoi, ton numéro 1 sur la liste ? demandai-je.

Elle se ferme aussitôt, secouant la tête.

— Ça, je ne peux pas te le dire. C’est trop personnel.

Love DystopieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant