Chapitre 1

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Diamond
Beaucoup de choses m'ennuient. Comme ce soir, regarder les deux hommes les plus importants de ma vie se batailler dans une partie de poker est d'un ennui MORTEL.

Mais ce n'est pas parce que je ne peux pas aimer que je ne peux pas me délecter des belles choses. À ne pas en douter, le casino de Monaco est l'une d'entre elles. J'ai toujours aimé observer la beauté d'un lieu, d'un vêtement, d'une voiture, d'un caillou scintillant, d'une personne. Et ce lieu, n'est que beauté, Une rivière d'argents et de jetons, un flot d'hommes ruinés ou satisfait. Mais c'est aussi un refuge pour mon père, un immense bureau d'affaires, une place de choix où il aime recevoir ceux qui ont de l'importance. Et Justin Durand a de l'importance. Non pas parce qu'il est mon fiancé, mais parce qu'il est l'unique héritier du vieux Durand, le grand patron du Weis Labo. Et c'est pour cela qu'il est mon fiancé.

— Dans quelques années, le Weis sérum ne sera plus un produit de luxe, annonce calmement Justin en observant ses cartes dans sa main droite, une main parée d'une chevalière hors de prix à l'emblème du laboratoire de son père. Comme il est commode de parler de ce qui est ou n'est pas luxe pour la classe moyenne, lorsque l'on possède suffisamment d'argent pour acquérir une île privée, histoire de ne jamais y poser un seul pied.

Nous autres connaissons des passe-temps que certains ne pourraient comprendre.

— J'ai entendu dire que vos petites villes françaises sont divisées à ce sujet.

Mon père avait employé le mot "vos" comme si la France entière se tenait dans le creux de la main des dirigeants de Weis Labo. C'est peut-être un fait pour les plus perspicaces d'entre nous, mais un fait qu'il ne vaut mieux pas dire trop fort. Ils ne possèdent pas seulement le pays, mais surtout les gens qui y résident et même au-delà des frontières. Au fond, même si nous ne sommes toujours pas mari et femme, je lui appartiens déjà. Que j'appartienne à ce sérum serait plus juste que le contraire.

Un sérum capable de vous faire oublier ce qu'est l'amour. Qu'est-ce qu'aimer ? Une chimère ? Un mythe ? Une histoire que l'on raconte aux enfants désobéissants ? Pour ma part, je n'en sais rien, je suis de cette génération de riches héritiers qui n'ont jamais eu à se soucier de ce genre de chose.

— Je vous en prie, monsieur Perfine, peut-on vraiment parler d'une division ? Lorsque le sérum entrera dans les petites villes et que les acheteurs graviront les échelons, que feront ceux qui ont un jour douté ?

— Ils ne douteront plus, mais ne craignez-vous pas de perdre notre place si durement gagnée? s'inquiète un instant mon père.

— Notre place est assurée au sommet.

— Pour que votre projet aboutisse, vous réalisez, je suppose, que vous devrez considérablement baisser vos tarifs. Ce n'est même pas rentable.

— Je pensais que vous auriez plus de jugeote, venant du plus grand banquier de Monaco. Ne voyez pas à court terme, monsieur Perfine, visualisez bien plus loin.

Je les regarde avec un mélange de dédain et d'amusement. Deux coqs en train de se battre pour le titre de plus gros ego.

— Soit, mon père ne se sentait pas le moins du monde insulté ou il avait compris qu'il ne gagnerait pas ce soir sans faire mine de s'écraser, reste curieux, à l'écoute. Vous avez donc conscience de la perte que cela engendrera les premières années.

— Effectivement, Justin jette un regard vers moi, j'avais presque oublié moi-même ma présence. Et c'est justement pour cela que l'union de nos deux familles est la meilleure chose qui puisse arriver.

Je le pense aussi. Et donc c'est là que j'interviens dans ce grand projet insensé. Dans leurs idées, je me suis positionnée. Le sérum nous a rendu plus prudent, plus réfléchis, alors c'est à se demander si Justin a bien pris sa dose ces derniers jours. Si mon père n'ose pas le lui dire clairement, pour nous, c'est de la pire folie, plusieurs années de perte.

Installée autour de la table aux côtés de ma mère, nous les regardons jouer sans broncher. Un peu comme une décoration, un trophée, un porte-bonheur de forte valeur, un diamant.

— Tu sais, Justin, si tu mets autant de passion dans notre mariage que dans ce jeu, nous sommes destinés à une union des plus ennuyeuses. Sommes-nous donc venus ici pour parler affaires ? Le taquinais-je comme à notre habitude.

En réalité, ni lui ni moi ne savons dire si nos espiègleries ne cachent pas une frustration commune et un vaste ennuie l'un de l'autre.

Mon fiancé lève à peine les yeux de ses cartes, un sourire aux lèvres.

— Oh, mais il n'y absolument rien de plus excitant que de parier des fortunes pour décider de l'avenir d'autres. Il reporte son attention sur mon père. Qu'en pensez-vous monsieur Perfine? La décision reviendrait à celui qui gagne la partie.

Mon père, assis en face de Justin, ne put s'empêcher de rire.

— Il faut dire que vous avez un talent pour rendre le prévisible passionnant, Justin. Et toi, Diamond, un talent pour rendre l'insolence à peine supportable.

Il me jette un regard noir, pourtant il sait pertinemment que je ne le décevrai jamais. Je suis à la hauteur de ses attentes. Peu importe qui gagnera ce soir, j'aurais tout le loisir de faire changer d'avis mon époux. Après tout, j'ai de nombreuses années devant moi.

— Je prends ça comme un compliment.

Ma mère, toujours impeccable, se penche sur moi.

— Diamond, chérie, pourquoi n'irais-tu pas te repoudrer le nez ?

— Excellente idée, mère. Peut-être qu'une touche de poudre me rendra plus supportable pour ces messieurs.

Aucun d'eux ne me prête plus attention. Les hommes se concentrent de nouveau sur leur jeu, les regards rivés sur les cartes, comme si le sort du monde en dépendait. Ha oui, c'est le cas... Justin abat son jeu, un sourire triomphant aux lèvres.

Les cartes s'étalent : un full aux rois et valets. Mon père, imperturbable, observe le tableau, les cartes qu'il tient dans sa main sont des moins attrayantes: une quinte flush manquée de peu.

— Eh bien Justin, il semblerait que je me couche pour cette fois, dit mon père en déposant ses cartes sur la table.

Exactement ce que j'aurais pu dire.

Je me lève, fuyant l'ennuie qui me tue à petit feu. En me retournant, je ne vois que trop tard le serveur, et le percute de plains fouet. Le plateau qu'il portait quelques secondes plus tôt, vole dans les airs, et les coupes de champagne se renversèrent sur ma robe Prada.

— Fantastique. Ma soirée ne serait pas complète sans une catastrophe vestimentaire.
Les yeux d'un bleu profond du serveur m'inondent un peu plus d'excuse, mais ses lèvres charnues n'en prononcent pas une.

— Au moins, je suis déjà dégoulinante de cynisme, un peu de champagne ne peut pas faire de mal. Et toujours aucune excuse.

Quand il ouvre enfin la bouche, je ne pensais pas entendre une voix avec autant d'assurance.

— Ce n'est rien, votre robe n'en est que plus attrayante. Prada devrait vraiment penser à lancer une ligne 'champagne renversé'. dit-il dans sa barbe.

Ce n'est rien? Quelle audace ? Mais quel con !

Ce n'est pas rien. C'est Prada. Je regarde ma robe autrefois blanche dessinant dangereusement la forme de mes seins. Je rêve où il se rince l'œil ? Il devrait, mais il ne le fait pas. Son attention reste scotchée sur la table. Autrement dis, moi et la robe qu'il a lui-même saccagé, nous l'ennuyons. Ce serveur devrait être renvoyé sur le champ.

— Merci pour le conseil. Peut-être que tu pourrais proposer tes talents de critique de mode après avoir échoué en tant que serveur.

Il ne peut taire un léger rire, ce qui a le don de m'agacer encore plus.

Humiliée, collante et humide, je m'éloigne en tentant de sécher ma robe avec un mouchoir en soie, en réalité le massacre de ma merveilleuse robe avait été ce qui m'était arrivé de mieux, une excuse pour quitter les lieux . Avec un dernier regard méprisant, je tourne les talons. Ni mon père ni Justin n'avait réagi, trop absorbé par leur jeu de pouvoir. Une petite voix se demande pourquoi, de toutes les personnes présentes, ce fut ce con de serveur qui égaya ma soirée.

Love DystopieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant