Chapitre 49

80 10 1
                                    

Il était étrange pour Derek de ressentir autant d'appréhension à la simple idée d'aller voir Stiles, de lui rendre visite alors que cela faisait déjà plusieurs jours qu'ils étaient sous le même toit. Mais à un étage différent, séparés par un plafond, des murs, des cloisons. Il le savait en quelque sorte près de lui sans que cela lui semble tangible. Et ça, Derek n'en avait pas l'habitude.

Il se souvenait encore de cette époque où Stiles déboulait au loft sans prévenir, perturbait sa tranquillité sans souci, comme si c'était normal. Et puis il l'inondait de paroles, se vannait tout seul par rapport à sa condition humaine... Il se donnait volontairement l'image d'un être faible, fragile face à un loup tel que lui et... Toutes les créatures qu'ils avaient eu à affronter. Derek eut un vertige à l'idée de se dire qu'il avait réussi à berner tout le monde, lui compris. Mais contrairement à Scott, il avait suffisamment de maturité et de jugeote pour faire la différence entre une tromperie réelle et un mensonge entretenu pour survivre. Ayant été chassé au sens propre comme au sens figuré, Derek ne pouvait que comprendre le besoin de passer son secret sous silence. Scott, de son côté, n'avait eu qu'un bref aperçu de ce que cela faisait, de faire partie d'une espèce considérée comme dangereuse, monstrueuse, néfaste.

Mais Derek se demandait si se faire chasser par sa propre espèce n'était pas pire que tout le reste. C'est en tout cas la réflexion qu'il se fit encore et encore en montant les escaliers. A celle-ci s'ajoutèrent d'autres, nombreuses et variées. Son appréhension grandit. Les dernières fois qu'il avait rendu visite à Stiles, le jeune homme s'était montré si différent de celui qu'il était d'ordinaire que Derek n'avait su comment réagir. Il y avait d'abord eu ce regard absent, indifférent, aussi vide d'émotions que son odeur. Puis son visage, lui-même changé par le conditionnement qu'il s'était, d'après Moira, imposé. Derek n'avait pas honte de le penser : il avait haï cet air robotique qui avait figé ses traits si vivants, détruisant l'image solaire qu'il avait de lui. Solaire dans le sens où il avait connu Stiles comme l'énergie incarnée, la source de motivation du groupe. Un groupe auquel il n'appartenait en théorie plus depuis son éviction de la meute décidée par Scott. Sauf que ce dernier n'était pas là et que de toute manière, on se rendait compte qu'on était contre. Quoi qu'il soit, Stiles avait parfaitement sa place parmi eux.

Et Derek avait été le premier à le penser. Le premier à le regarder vraiment lorsqu'il avait fait venir cette M-Psi au loft pour la première fois.

C'est avec une hésitation toute particulière qu'il posa sa main sur la poignée de la porte. Il n'avait... Pas envie de le déranger, pas envie non plus qu'il pense qu'il circule dans son espace simplement parce qu'il était différent. Derek ne voulait absolument pas que Stiles se dise qu'il le surveillait. Il était juste inquiet et ressentait le besoin de lui parler. De quoi précisément, l'ancien alpha n'en avait aucune idée mais il savait que cela viendrait. C'était dans ce genre de moments que son instinct prévalait, qu'il le laissait parler. Réfléchir à outrance n'était pas forcément la meilleure chose à faire. Parfois, il fallait simplement se lancer et prendre les choses telles qu'elles venaient.

Alors, il toqua et de son autre main, il abaissa la poignée après avoir entendu un semblant d'approbation de la part de Stiles.

L'hyperactif était assis sur le lit, en tailleur. Sans doute devait-il avoir le regard dans le vide puisqu'il le remonta assez brusquement dans sa direction – et Derek resta interdit devant ces yeux dont il n'avait pas encore l'habitude. L'argent, le cyan et le doré lui semblèrent luire, tant et si bien qu'il en fut un instant subjugué. Impossible pour lui de nier la beauté pure et simple de ce regard qu'il lui connaissait encore trop peu. Mais ses sens lupins le firent revenir à la réalité en l'alertant de façon instinctive. Ce n'était pas le manque de vie du visage de Stiles qui le perturbait, mais bien autre chose. Il jeta un coup d'œil à la fenêtre ouverte, à l'air frais qui circulait sans doute depuis un moment...

... Mais qui ne suffisait pas à effacer certaines odeurs.

Fronçant les sourcils, Derek ferma la porte de la chambre derrière lui et ne manqua rien de la façon dont Stiles se crispa.

D'une manière ou d'une autre, il s'attendait à quelque chose. Quelque chose qui lui faisait peur : il n'avait plus rien du robot indifférent à tout ce qui l'entourait... Son conditionnement était irrémédiablement brisé.

- De quoi tu as besoin ? S'enquit l'ex humain d'une voix rauque, presque enrouée.

Derek reporta son attention sur ces yeux si particuliers, lesquels ne cachaient pas grand-chose de ce que ressentait Stiles. Pire encore... Ils traduisaient une douleur pas encore passée, des larmes récentes. Le blanc était légèrement rougi et les joues portaient encore les traces subtiles des sillons que le chagrin de l'hyperactif avait tracés. La chose ébranla Derek au point qu'il ne sut que dire et qu'il eut l'impression de se prendre un coup de poignard dans le ventre. Il prenait doucement conscience du fait que Stiles avait pleuré. Qu'une partie de l'odeur imprégnée dans la chambre était le fantôme de ses larmes, de sanglots silencieux. Ses yeux dérivèrent légèrement, il se rapprocha du lit, tapota l'oreiller sous le regard à la fois perplexe et craintif du Psi. Le tissu de la taie n'était pas complètement sec. Le cœur battant, Derek se retourna vers Stiles.

- Pourquoi tu ne dis rien ?

Pourquoi gardait-il cette si grande douleur pour lui ? Pourquoi avait-il pleuré en silence ? Pourquoi n'avait-il appelé personne ? Pourquoi ne se confiait-il pas ? Ne se rendait-il pas compte qu'il n'était plus seul ? Derek vit une lueur particulière dans son regard. Forte, désespérée.

Un appel à l'aide silencieux instinctif que Stiles ne se permettait pas de verbaliser.

- Qu'y aurait-il à dire ? Articula l'hyperactif, sérieux dans sa question.

L'interrogation laissa Derek interdit quelques secondes. C'est le cœur battant qu'il finit par souffler :

- Beaucoup de choses.

Il n'en doutait pas un seul instant, au contraire de Stiles qui afficha une mine passablement confuse. Le genre de mine à fendre le cœur tant la réponse paraissait évidente à Derek... Trop étrange aux yeux de l'hyperactif qui finit par secouer la tête.

- Qu'est-ce que tu veux vraiment ? S'enquit-il d'une voix particulière.

Une voix qui retenait nombre de choses et qu'un rien pouvait briser. Cette idée avait une allure un peu trop réelle pour être ignorée. En fait, Derek la considéra comme une sérieuse possibilité... Quelque chose d'inconcevable.

Il ne voulait pas l'entendre de cette façon.

Ainsi, il ne chercha pas le moins du monde à contester la pulsion qui le prit.

- Il faut qu'on discute, déclara-t-il sans détour.

Plus qu'une nécessité, il s'agissait d'une évidence à laquelle Derek se sentait d'un coup prêt à se confronter. Il le fallait. Stiles ne pouvait décemment pas continuer comme ça, à vivre ce calvaire silencieux. A tout garder pour lui sans s'accorder le droit de se plaindre. Il devait accepter que... Non, ça n'allait pas et que dans son cas, c'était parfaitement normal.

La perte et le rejet étaient des choses que Derek avait déjà vécues. Autant dire que la douleur de Stiles, il la connaissait – dans une moindre mesure bien sûr.

- Tu veux savoir comment on va procéder pour la suite ? Demanda Stiles en détournant les yeux, comme si le regarder lui coûtait trop pour qu'il puisse continuer. J'ai pensé à des choses et je pense que...

- Non, l'interrompit Derek, les sourcils froncés par la sidération qui le gagnait. Non, je ne parle pas de ça. Je ne veux pas savoir, pas maintenant.

Je m'en fiche, faillit-il dire. A cet instant, la menace qui pesait contre la meute lui semblait bien loin et trop peu importante par rapport à la détresse qu'il percevait chez Stiles. C'est alors qu'il se tourna vers la fenêtre. Son sang ne fit qu'un tour. Guidé par l'urgence qui le tenaillait, il l'ouvrit. Stiles ne lui parlerait pas. Pas ici, en tout cas.

- On va faire un tour, décida-t-il en posant à nouveau ses yeux sur lui.

La Résurgence du PhénixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant