Chapitre 45

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Ces derniers temps, Stiles avait fait l'expérience de deux types d'endormissement différents. Le premier, le moins courant, était une inconscience forcée et totale résultant de l'épuisement de son corps mêlé à celui de son esprit Psi. Le second, qu'il vivait régulièrement depuis qu'il logeait malgré lui au manoir, était un repos superficiel, l'équivalent de siestes mises bout à bout. Elles étaient légères, tant et si bien qu'il pouvait continuer de percevoir mille et une choses malgré cet état. C'était tel qu'il pouvait se lever à n'importe quel moment : il se savait d'attaque à tout instant.

Son inconscience avait été totale, les premières heures qui avaient suivi l'exécution de son plan dans la forêt. Dans ce genre de conditions, Stiles se savait atrocement vulnérable : ce n'était pas lui qui décidait du moment où il regagnait le droit de diriger à nouveau son corps, d'appeler à lui ses pouvoirs magistraux. C'était un peu plus tard que son sommeil s'était allégé, jusqu'à devenir une somnolence contrôlée.

Stiles ne dormait plus vraiment. Il se laissait aller juste assez loin pour récupérer un peu, tout en restant assez conscient pour réagir au moindre problème. Si des Psis avaient pu s'infiltrer dans la forêt une fois, l'on n'était pas à l'abri d'une nouvelle occurrence. Cet état aussi bien transitoire que contrôlé permettait à l'hyperactif d'occuper son esprit et de l'éloigner de ses émotions destructrices. Puisqu'il n'était pas capable de remettre sa Dissonance sur pied, il devait se débrouiller autrement. Et il était prêt à tout. Tout pour ne pas exploser ici, si près d'eux.

Alors oui, Stiles entendit les pas étouffés et discrets qui montaient les escaliers tout autant qu'il reconnut instantanément la signature psychique d'Isaac alors même qu'il somnolait toujours de façon légère et contrôlée. Ainsi, il ne se méfia pas, n'effectua pas le moindre balayage télépathique... Pour la simple et bonne raison qu'il ne jugeait pas Lahey comme étant une menace. Si son déplacement pouvait étrange, surtout en pleine nuit, Stiles n'y accorda aucune importance. Il le savait quelque peu perturbé, parasité par les séquelles de l'attaque Psi qu'il avait subie quelques jours plus tôt. Ainsi, il pouvait bien avoir envie de monter à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. D'ailleurs, dans sa réflexion légère, Stiles s'attendit à le sentir redescendre.

Pas à percevoir sa présence s'arrêter devant la porte de cette chambre qu'il occupait plus ou moins contre son gré. Ni même à entendre le léger grincement qu'occasionna la poignée lorsqu'elle fut abaissée.

Le réveil de Stiles fut instantané, tant et si bien qu'il ouvrit les yeux en un instant. Il n'avait pas peur d'Isaac, ne considérait toujours pas celui-ci comme une menace. Mais des raisons de sentir la terreur l'envahir, il en avait.

Réguler ses émotions était véritablement difficile, mais obligatoire dans le cas de l'hyperactif. Ainsi, il prit sur lui à tel point que c'en fut douloureux et, même si Isaac pouvait hypothétiquement toujours y voir dans le noir grâce à sa nature lupine, Stiles se redressa rapidement et alluma la lampe de chevet.

Voir Isaac lui fit tout drôle, pour la simple et bonne raison qu'il avait l'impression de ne pas l'avoir vu en tant que tel depuis un moment. Depuis l'attaque qui avait manqué de le tuer, Isaac était toujours entouré, mais aussi régulièrement ausculté par Moira. En somme, il était sous surveillance – pour son bien. On ne le laissait que rarement seul et ça, Stiles le savait pertinemment – il partageait l'avis général de la meute concernant le bouclé, ainsi que toutes les mesures prises pour sa protection.

Alors sa venue le perturba réellement, d'autant plus qu'il sentait tous les autres endormis – leur signature psychique était comme... Moins puissante. Elle rayonnait moins, car en sommeil.

Et Stiles, même s'il pouvait affirmer qu'Isaac lui manquait autant que les autres, qu'il regrettait le temps où son humanité apparente lui donnait droit à l'amitié, ne perdait pas de vue l'idée qu'il devait restreindre le contact avec son ancien ami au maximum. Il était également persuadé que si un des membres de la meute débarquait, l'on irait s'imaginer des choses – pas les meilleures. Stiles lui-même reconnaissait que la proximité d'Isaac – qui n'avait rien fait de plus qu'entrer dans la chambre – mettait d'ores et déjà à mal le contrôle qu'il exerçait sur lui-même.

Isaac ne se doutait vraisemblablement pas de la portée de l'attachement de Stiles à son égard. Un attachement qui devrait déjà avoir cessé d'exister mais qui se refusait à l'oubli. Ainsi, l'objectif premier de l'hyperactif fut non pas de comprendre la raison de la venue d'Isaac – qui, pour lui, n'était rien de plus que le fruit d'une pulsion incompréhensible –, mais bien de le renvoyer dormir à l'étage d'en-dessous.

Alors, il commença à ouvrir la bouche pour lui chuchoter de retourner avec les autres, aussi simplement que cela.

Isaac secoua instantanément la tête et mit un doigt sur sa bouche, dissuadant Stiles de prononcer le moindre mot. L'hyperactif haussa un sourcil, perplexe. Il savait que la blessure psychique n'avait pas retiré son intelligence à son ancien ami – simplement, il ne comprenait rien, pas même le pourquoi de sa venue. Mais la lumière se fit en lui lorsqu'Isaac tapota sa propre tête avec un seul doigt. Pourtant, au départ, il crut mal comprendre et se dit qu'il devait mal interpréter la chose. Or, Isaac réitéra son geste. La tête.

« Retourne te coucher. »

Stiles avait tenté, en espérant ne pas avoir fait quelque chose de mal. Mis à part pour identifier la venue de certains et s'assurer qu'aucun danger ne menaçait le manoir, il faisait en sorte d'utiliser ses capacités psychiques le moins possible. Mieux : il se muselait, se bridait...

... En espérant contrôler suffisamment ses émotions pour ne pas exploser alors qu'il se sentait... Détruit. Il avait véritablement tout perdu.

Sa Dissonance lui manquait pour la stabilité froide qu'elle lui apportait – c'était clair et net tant les efforts qu'il devait fournir pour ne pas perdre le contrôle de lui-même se faisaient sentir. Si Stiles se positionnait contre Silence depuis toujours, il devait bien avouer que le concept d'annihilation des émotions pour soigner les esprits instables n'était pas complètement dénué de sens. A son avis, le protocole devrait être proposé et non imposé.

Stiles pesta contre lui-même de ne pas avoir la force de rétablir sa Dissonance pour l'instant : il faudrait qu'il essaye d'ici quelques jours, en se mettant dans un endroit passablement éloigné du manoir car cette fois-ci, la manipulation ne serait sans doute pas sans risques tant il se savait au bord de l'explosion physique. Pour lui, il était hors de question de tenter le diable ici, si près des gens qu'il aimait. S'il devait arriver quelque chose, il voulait faire le moins de dégâts possibles.

Et s'il perdait définitivement le contrôle de lui-même, de son essence psychique la plus profonde... Ce serait en toute intimité. Nul ne serait témoin de sa fin si elle décidait d'arriver plus tôt que prévu.

Cette pensée le soulagea autant qu'elle le mina. Cependant, il ne laissa rien paraître au niveau de son visage et considéra qu'Isaac ne remarquerait rien. Pourquoi y ferait-il attention, de toute façon ?

Pour sa plus grande surprise, son ancien ami ne rebroussa pas chemin, au contraire : il s'approcha, jusqu'à s'assoir au bord du lit. Perplexe, Stiles le regarda sortir son téléphone portable de sa poche et ouvrir l'application « Notes ». Il fronça les sourcils. Isaac n'osait-il toujours pas parler ou faisait-il en sorte d'être plus que discret ? Sans doute devait-il chercher à éviter que l'on sache ce qu'il faisait. Si personne ne s'était réveillé en bas, cela pourrait peut-être arriver s'ils se mettaient tous deux à parler. Dans le silence nocturne, le moindre chuchotement pourrait être perçu par une ouïe lupine – surdéveloppée, par définition.

Mais ce que Stiles vit n'eut aucun autre effet que celui de lui fendre le cœur. Isaac peinait à écrire, à trouver ses mots, à... Choisir sur quelles lettres appuyer. Et cela l'embêtait – Stiles le sentait à ses émotions qu'il percevait avec une aisance folle. Pas de doute, sa somnolence était bien loin.

L'hyperactif était même parfaitement réveillé. Peut-être même plus que jamais.

La Résurgence du PhénixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant