Chapitre 44

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De sa vie, Isaac ne s'était jamais senti aussi choyé et pourtant, il n'arrivait pas à en retirer la moindre once de joie. On s'occupait de lui, on ne le laissait que rarement seul, on essayait régulièrement de lui changer les idées... Mais il n'arrivait pas à en être heureux, ni à éprouver la moindre reconnaissance. Pas qu'elle n'existe pas ou que le jeune homme soit ingrat, non – c'était autre chose. Il s'agissait d'un état auquel Isaac réfléchissait réellement... Et qu'il ne comprenait pas. Enfin si, il savait qu'il n'arrivait pas à se concentrer sur chacune des tentatives de Derek ou de Lydia de le garder ici, avec eux... Dans la réalité. Son esprit partait sans arrêt dans la même direction.

Et Stiles s'y trouvait, sans en être la destination.

Isaac s'imaginait ça comme une sorte de chemin blanc traversant une nuée de ténèbres pas vraiment noires, pas vraiment épaisses, mais desquelles il se trouvait bien incapable de voir au travers. Au-dessus de cette ligne de conque qu'il s'évertuait à suivre et qui était trop étroite pour qu'il n'ait pas peur d'en tomber, il visualisait un ciel gris anthracite peu étoilé mais craquelé de tous côtés, zébré de crevasses blanchâtres aussi nombreuses que morbides. Pour Isaac, il s'agissait d'un paysage véritablement cauchemardesque qu'il voulait fuir plus que tout au monde... Mais qu'il ne pouvait s'empêcher de voir dès qu'il fermait les yeux. Il savait que cette image n'avait rien de réel, néanmoins... Il n'arrivait pas à l'ignorer.

Encore moins lorsqu'il décelait Stiles sur ce même chemin de conque, à une vingtaine de mètres de sa position. Un pied sur la ligne, un pied dans le vide. Sa présence dans son monde imaginaire intérieur ne l'étonnait pas : Isaac pensait beaucoup son ami depuis le début de cette histoire et... Il n'arrivait pas à se défaire de cette inquiétude à la fois si forte et si étrange qu'il se savait incapable de l'éteindre.

Isaac savait que ça n'allait pas et il ne pouvait s'empêcher de scruter ses battements de cœur sans arrêt, à la recherche d'une irrégularité ou d'un changement de rythme qui pourrait l'alerter. Parce que même s'il ne parlait plus depuis son agression, même si on ne savait pas vraiment ce qui avait été touché dans son esprit – on avait conscience qu'il lui restait quelques séquelles de lésions psychiques dont il faudrait s'occuper dès que possible –, Isaac gardait la pleine possession de ses pouvoirs surnaturels. De ses dons lupins. De sa personnalité. De ses émotions. Il avait juste un peu plus de mal à les gérer, à faire le tri dans un certain pan de ses souvenirs, à réfléchir à la même vitesse qu'avant... Il avait conscience que certaines choses n'allaient pas encore, sans aucune certitude qu'elles s'amélioreraient prochainement. Mais il l'espérait.

Tout comme il espérait que Stiles s'en sorte.

Isaac percevait ses émotions depuis le départ et s'il n'en avait jamais réellement eu conscience tant le brouillard qui régnait dans sa tête était opaque, c'était un fait. Alors oui, il les avait senties, même au travers des barreaux de la cage immatérielle que Stiles avait créée spécialement pour elles et qui n'existaient plus. C'était très lointain, comme un murmure, tout comme le léger bruit qu'avait occasionné sa téléportation précédente. En fait, Isaac percevait bien plus de choses qu'on ne l'imaginait, mais il ne pouvait rien dire. Parler était trop difficile, il ne voulait même plus essayer d'autant plus qu'il savait son esprit ralenti et que la honte à ce sujet ne le quittait pas. Alors expliquer ce qu'il savait, ce qu'il ressentait ? Mission impossible. Isaac préférait surveiller Stiles de loin et n'avertir Derek que lorsqu'il aurait quelque chose de clair et fiable à lui transmettre.

D'ailleurs, l'ancien alpha restait très proche de lui et faisait en sorte de ne jamais le laisser seul trop longtemps. Malgré ses propres préoccupations et ce besoin qu'il avait d'assurer sur tous les fronts, Derek ne l'oubliait pas. Il le considérait même comme une priorité. Isaac appréciait sa dévotion.

Mais il avait besoin d'air.

Souvent, on l'empêchait d'aller voir Stiles lorsqu'on le voyait se diriger vers sa chambre ou... Qu'il s'éloignait simplement du groupe. On le protégeait... Le surprotégeait. Parce qu'on ne savait pas réellement comment il allait, s'il pouvait être un danger pour lui-même ou non. On n'arrivait pas à établir les limites de ses blessures, ni leur portée. Alors, on préférait l'avoir à l'œil. Encore une fois, Isaac trouvait l'attention adorable, mais... Il commençait sérieusement à étouffer. A avoir envie et besoin d'autre chose. D'une forme de liberté dont son... Agression l'avait privé. Disons qu'il pouvait comprendre l'attitude de la meute envers lui et qu'il se sentait reconnaissant de la façon dont on se préoccupait de lui. Sauf qu'il n'était pas aussi impotent ou faible qu'on l'imaginait. C'était juste son esprit qui était un peu lent... Cassé. Pour le reste, il n'y avait rien à signaler.

Alors, il développa un plan rapide et simple qu'il décida de mettre en application le lendemain – il ne voulait pas attendre davantage. La nuit, plus précisément. Parce que lorsque la lune s'élevait haut dans le ciel, on dormait. Isaac, lui, se débrouilla pour rester éveillé et attendit patiemment que ses amis loups-garous et banshee s'endorment. Moira ? Il ne lui accordait pas grande importance, pour le coup. Elle était fatiguée, épuisé par tout ce qu'elle avait dû faire pour la meute, pour Stiles... Et d'autres choses dont il n'était pas au courant. De fait, elle n'avait pas l'air bien embêtante et Isaac ne la voyait pas l'empêcher de faire quoi que ce soit. Il se questionnait grandement à son sujet par rapport à sa nature Psi et ses facultés précises, mais... Cela s'arrêtait là.

Isaac savait que Stiles n'était pas sorti de la chambre qu'on lui avait attribuée depuis qu'on l'avait ramené ici, si ce n'est pour aller faire ses besoins de temps à autres. Du reste, il n'était jamais descendu et personne ne savait quoi en penser. On n'avait pas non plus l'air de sentir ses émotions, de percevoir à quel point son odeur était... D'une puanteur à toute épreuve. Isaac, lui, la sentait comme il le fallait. Puissante, insistante, harassante. Les autres faisaient-ils semblant ou était-il le seul à percevoir cet élément des plus clairs ? Il n'irait certainement pas le leur demander – les mots lui manquaient, l'envie aussi.

A deux heures du matin, tout le monde dormait profondément. Le silence régnait autant dans le salon que dans les chambres. Isaac s'extirpa lentement de sa couchette et s'attela à ce qu'aucun de ses pas ne fasse le moindre bruit. Stiles dormait sans doute lui aussi à l'heure actuelle mais... Qu'importe, il avait besoin de le voir et seule la nuit pouvait le laisser faire, lui accorder la tranquillité après laquelle il courait. Alors oui, il y avait des chances qu'il le réveille. Tant pis. Isaac sentait qu'il devait passer un peu de temps avec lui, s'intéresser à ce qui, chez lui, ne se voyait pas. Mais se percevait subtilement. Il désirait aussi comprendre ce qui le poussait à s'isoler de la sorte. C'était comme si Stiles, à chaque fois qu'il se passait quelque chose, trouvait un moyen et un prétexte de s'éloigner d'eux. D'ailleurs, Isaac sentait que ça lui faisait mal. A quel point Stiles en souffrait. On avait essayé de lui montrer qu'on était ouvert, que... Qu'on avait compris la raison de son mensonge. Ici, personne ne lui en voulait. Isaac ne prenait pas Scott en compte, pour la simple et bonne raison que ses agissements... N'étaient pas ceux d'un alpha, pas ceux d'un ami.

Pas ceux de quelqu'un de confiance.

Isaac n'avait toujours pas digéré la façon dont Scott l'avait envoyé en pâture aux Psis, ni le détachement qu'il avait affiché le concernant mais dans son état... Il essayait simplement de ne pas y penser à outrance. D'oublier momentanément, de s'accorder le droit de se préserver quelques temps. Penser à Stiles avait l'avantage d'occuper l'intégralité de sa conscience, si bien que Scott passait aisément au second plan. Puis si sa réflexion tournait presque uniquement autour de l'hyperactif... Ce n'était pas pour rien, il y avait forcément une raison qui nécessitait une action de sa part.


Dans ce cas précis, une visite nocturne.

Isaac avait le sentiment qu'il avait quelque chose à faire et que sa présence avait le pouvoir de débloquer. Il ne lui restait maintenant plus qu'à voir ce dont il s'agissait. D'ailleurs, à chaque fois qu'il clignait des yeux, il revoyait ce chemin blanc dans l'ombre d'un monde vide et sombre, chemin sur lequel Stiles semblait jouer à l'équilibriste. Ça aussi, ça avait forcément un sens.

Il ne pouvait en être autrement.

La Résurgence du PhénixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant