Chapitre 43

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Les yeux tricolores du double Cardinal fixaient le plafond. Ils étaient mornes, sans éclat, morts. Un moment déjà que Stiles avait repris connaissance après avoir dormi plusieurs heures... Mais il continuait de se sentir lourd, épuisé.

A bout de forces.

Très sincèrement, Stiles n'avait pas envie d'être là, au manoir. Ce qu'il aurait aimé voir à son réveil, c'était le ciel et se retrouver entouré par la forêt. Il n'était cependant pas stupide : avec le temps qu'il avait dû passer à dormir, des troupes Psis l'auraient retrouvé et achevé dans son sommeil... Ce qu'il ne considérait étrangement pas comme une mauvaise chose. A vrai dire, la mort l'attirait de plus en plus. Elle lui paraissait... Bien plus reposante que son existence détruite, ballotée entre sa loyauté envers son ancienne meute et son besoin de solitude.

Car à ce stade-là, Stiles ne vivait plus.

Il survivait.

Son corps fonctionnait parfaitement bien, son esprit aussi. Ses capacités ? Sous contrôle pour le moment – la purge qu'il avait faite avant de réaliser son petit numéro enflammé dans le ciel s'était avérée fort utile. Le seul véritable problème, c'était sa psyché en morceaux. Toutefois, ses émotions ne le submergeaient pas. Pas encore, en tout cas. Stiles était dans un état tel qu'il se retrouvait momentanément anesthésié de sa propre douleur... Parce que tout était justement trop fort. La Dissonance avait ses bons côtés : elle mettait ses émotions en cage. Le souci résidait dans sa levée. Après plusieurs jours passés conditionné au vide, subissant une décharge violente chaque fois qu'une émotion se faisait entendre dans sa tête... Stiles était complètement perdu d'autant plus qu'il avait mis en place cette fameuse Dissonance... Pour se reconstruire. La déconnexion du Psinet opérée par le conseiller lui avait occasionné bien plus de dégâts qu'on pourrait le penser et Stiles avait dû se retirer au plus profond de lui pour tout réparer, tout réorganiser. Dans une tête comme la sienne, c'était très compliqué, d'autant plus qu'il n'était pas passé partout. Il n'avait eu ni le temps, ni l'envie de mener le processus à son terme. Son but à ce moment-là avait été de fonctionner : c'était chose faite. Ça avait... Merveilleusement marché – et pour être honnête, Stiles en était le premier surpris.

Mais se savoir en vie et fonctionnel avait tout autant d'avantages et d'inconvénients... Ces derniers pouvant se transformer rapidement en une menace pour les premiers. Car si Stiles était en effet vivant et apte à protéger la meute... La question serait maintenant de savoir combien de temps il pourrait tenir. Bien qu'épuisé, le jeune homme était à cet instant parfaitement lucide : il lui faudrait du temps avant de pouvoir remettre sa Dissonance en place et encore, il n'était pas certain d'y arriver. Depuis son réveil, il avait l'impression tenace que sa force devenait aussi sélective que fragile. Physiquement, ça irait toujours. En effet, de par sa nature et ses capacités, Stiles se savait parfaitement capable de pousser son corps au-delà de ses limites. Le problème se situait du côté de sa fameuse psyché. Si tout était détruit à l'intérieur de lui, comment réaliser ses objectifs correctement ? Là encore, Stiles ne pensait pas à se préserver, ni même à axer ses prochaines actions sur un moyen d'affronter tout ce qu'il avait vécu... Et de panser ses blessures, dans un sens. En fait, l'idée-même de poser les yeux sur son existence, son propre état... Lui paraissait indécente. L'hyperactif savait parfaitement qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps à vivre : en gaspiller une partie pour lui alors que la meute était dans une position délicate lui était aberrant. D'autant plus que la menace Psi était réelle et qu'elle ne s'éteindrait pas de sitôt.

Pourquoi prendrait-il donc la peine de se guérir alors qu'il n'y aurait jamais d'après le concernant ?

Si la Dissonance était ce qui lui avait permis de tenir les premiers jours de sa reconnexion, Stiles se devait de recommencer à survivre sans. Il n'avait pas la force de recréer une cage émotionnelle pour l'instant – sans même avoir essayé, il le ressentait. L'avantage de s'être caché durant des années lui avait au moins appris à bien se connaître... Et à déceler ses propres limites. C'était d'autant plus terrible qu'il se savait Empathe : la privation totale d'émotions durant une trop longue période le tuerait une deuxième fois. Quoiqu'au final, Stiles n'avait pas réellement repris vie. Son corps oui, mais une partie de lui s'en était allée avec son rejet de la meute, la mort de son père... La destruction de sa psyché. Une chance qu'il n'ait pas encore perdu la tête : il était toutefois d'avis que cela ne saurait tarder. L'essentiel était qu'il use du reste de son temps pour maximiser ses chances de sauver puis mettre à l'abri ceux pour qui son cœur battait encore.

Le reste n'avait plus aucune importance.

Alors non, Stiles ne craquait pas, pas encore. Apathique, il continuait de mirer le plafond sans vraiment le voir. S'il n'était pas en capacité de réinstaurer une forme de Dissonance dans son esprit, il réussissait néanmoins à se restreindre suffisamment pour ne pas faire exploser le manoir. De même, il était certain que ses émotions n'étaient pas décelables en dehors de cette chambre... Et c'était tant mieux. Stiles ne voulait pas susciter le moindre sentiment de pitié chez quelque membre de la meute que ce soit. En fait, il avait dans l'idée de garder ça pour lui, un peu comme si ses émotions composaient ce qu'il considérait comme son dernier jardin secret. Parce qu'à part cela, il n'avait plus rien. Il n'était plus rien. Stiles, l'humain au sourire perpétuel et au sarcasme indécent, avait été réduit en cendres.

A côté de cela, Stiles entretenait l'envie et le besoin de s'en aller. D'agir de loin. C'était, très honnêtement, le plus sain à faire et ce qui, plus que tout, pourrait le faire tenir. Maintenir un contrôle sur ses émotions en permanence relevait du défi, presque de l'impossible. En l'état actuel des choses... Stiles avait réellement du mal. Parce qu'il n'extériorisait pas ses ressentis, ne s'autorisait pas à accepter pleinement cette souffrance qui le tiraillait de part en part, qui lui rappelait à chaque seconde de son existence que tout espoir était vain. Il essayait de repousser la douleur autant que possible... De la minimiser, pour rester lucide. S'il lâchait prise... Le manoir et tous ses occupants seraient déjà réduits à l'état de cendres.

Mais pour s'en aller, il fallait se lever, sortir – se téléporter si besoin. Et le problème, c'est que Stiles n'en avait absolument pas l'énergie. Si son corps fonctionnait parfaitement et que l'hyperactif pouvait le faire marcher en se poussant un peu, il ne le faisait pas. Ne bougeait pas. Et ses yeux si beaux, si morts, ne fixaient toujours que le plafond. Secs. Parfaitement secs. Stiles se sentait incapable de verser la moindre larme, comme si elles s'étaient toutes évaporées, qu'elles étaient parties avec ces quelques morceaux de lui dont il se retrouvait désormais dépourvu.

Et il n'y avait pas de sensation plus étrange que celle de se sentir incomplet. Quoiqu'expérimenter la mort sans avoir réellement passé l'arme à gauche était un phénomène presque tout aussi déstabilisant.

Stiles ferma finalement les yeux. Ils étaient trop secs. C'est alors qu'il perçut du mouvement dans le manoir. S'il n'avait pas l'ouïe d'un loup, l'hyperactif possédait une perception très précise de son environnement. Son truc à lui, inhérent à son espèce, concernait les signatures psychiques de tout un chacun. Et celle de Lydia lui indiquait qu'elle montait les escaliers. Qu'importe. Stiles se tourna, dos à la porte. La solitude lui allait bien et il était clair qu'il ferait tout pour lui faire une place réelle dans sa vie. Il lui manquait juste... La motivation de partir. De se lever, de s'en aller. Dire au revoir ? Non. Inutile. Cela n'aurait d'autre effet que de lui retourner le couteau dans la plaie... D'autant plus qu'il les reverrait sans doute quelques fois. Quoiqu'il ferait mieux d'éviter de les revoir et d'agir à distance, réellement.

De toute manière, il n'avait plus très longtemps à attendre : la mort lui tendait les bras. Autant s'éloigner de toute source de distraction éventuelle... Mais pas maintenant. Sans qu'il ne se l'avoue vraiment, Stiles avait besoin... De rester là, encore un peu. Cela pouvait paraître égoïste, mais le confort d'un vrai lit, d'une vraie chambre... C'était inimitable et il devrait bientôt s'en passer. Avait-il seulement le droit de profiter un peu de tout cela ? A défaut de se concentrer sur les liens qui l'avaient rendu heureux, il se rabattait sur le matériel – plus simple. Serra les draps de ses mains, s'enfouit sous les couvertures, se recroquevilla sur lui-même, profita de la chaleur de ces vêtements qui n'étaient pas les siens. Stiles avait froid, alors que sa peau était presque bouillante. Son corps était particulièrement chaud lorsqu'il ne portait pas d'inhibiteurs : viendrait un moment ou cela serait dangereux. Pour l'instant, ça allait, il contrôlait...

Après tout, c'était juste son cœur qui avait froid.

La Résurgence du PhénixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant