Ewen:
Je revois encore le visage terrifié d'Allyson face à mon frère. Son agresseur. Je ne pensais pas qu'elle se souviendrait si clairement de lui, malgré la fatigue, malgré la maladie qui le ronge lentement.
Cela fait deux semaines qu'elle m'ignore. Deux semaines qu'elle flirte ouvertement avec d'autres garçons sous mes yeux.
Je m'en veux. De lui avoir caché la vérité. De ne pas avoir eu le courage de tout lui dire plus tôt. Mais qu'aurais-je pu faire ? Si je lui avais avoué, elle ne m'aurait jamais laissé une chance. Et maintenant, elle me regarde comme si j'étais lui.
Comme si j'étais un monstre, sans cœur.
Mon frère, lui, ne ressent rien. Il ne regrette pas. Il a détruit sa vie et ça ne lui fait ni chaud ni froid. À cette époque, il savait déjà que j'aimais Allyson. Depuis le jour où je l'ai vue pour la première fois dans les couloirs de mon collège en Italie. Je lui avais dit. Je lui avais confié mes sentiments, naïvement. Et en réponse, il s'est rapproché d'Enora... pour la détruire. Pour la tuer. Juste pour faire souffrir Allyson. Juste pour me blesser. Parce que, selon lui, elle n'était pas assez bien pour moi.
Mais pour moi, elle était tout. Elle l'est encore.
Quand je la voyais rire, même au loin, j'étais heureux. Même quand je la voyais avec d'autres garçons à l'époque, je me disais que tant qu'elle souriait, ça me suffisait. Je le pensais. Je le pense encore.
Même si ça signifie la laisser partir.
Je serais prêt à tout pour elle.
Le jour où elle a été agressée, je suis resté près d'elle. J'ai refusé de partir. Je l'ai gardée dans mes bras, je lui parlais, je lui demandais de rester éveillée... jusqu'à l'arrivée des ambulances. Au début, les flics ont cru que c'était moi. Et je n'ai rien pu dire. Rien pu faire. J'étais là, au mauvais endroit, à cause de lui.
Il m'avait forcé à regarder. Il m'a menacé. Il m'a dit que si je tournais la tête, il ne tuerait pas qu'Enora. Il tuerait aussi Allyson. Alors j'ai regardé. J'ai regardé même si ça me déchirait. Même si je savais qu'elle me haïrait toute sa vie si elle s'en souvenait.
J'ai été égoïste. Je voulais qu'elle vive, oui... mais surtout, je ne pouvais pas imaginer un monde sans elle. Elle est mon âme sœur. Celle que j'attendais. Et si ce n'est pas dans cette vie, alors ce sera dans une autre. Parce que je l'aime à en crever.
Même si je perdais la mémoire, je tomberais encore amoureux d'elle. Encore et encore. Parce que c'est écrit. Parce qu'elle est elle. Parce qu'elle est nous.
Je me souviens lui avoir chuchoté, juste après son agression :
« Je suis là, princesse... Je vais prendre soin de toi maintenant. Je serai là pour te protéger. Même si je dois brûler le monde pour toi. »
Elle s'était apaisée, juste un peu, à l'écoute de ces mots. Et puis, à l'hôpital, l'infirmière m'a dit qu'elle avait perdu la mémoire. Qu'elle risquait de ne plus jamais se souvenir de moi.
J'ai été anéanti.
Mais au fond de moi, je me disais que si on était vraiment destinés, elle tomberait à nouveau amoureuse. Comme ce jour-là, en Italie, quand nos regards se sont croisés pour la première fois.
Et j'avais raison.
Elle est tombée amoureuse de moi, malgré elle. Malgré tout. Malgré ce que je lui rappelais.
Quand elle est revenue dans ma vie, dans ma classe, mon cœur s'est remis à battre. Comme s'il n'attendait que ça. Que elle.
Mais aujourd'hui, je dois apprendre à la laisser vivre sans moi. Parce que quand on aime quelqu'un... vraiment... on accepte aussi de le laisser partir.
⸻
Au lycée :
Je la regarde depuis l'autre côté de la cour. Elle est là, en train de rire, de flirter avec ce gars que je ne supporte pas. Marius. On dit qu'ils sortent ensemble.
Elle lui sourit en me fixant, comme si rien n'avait jamais existé entre nous.
Deux semaines que je la vois collée à lui, alors qu'ils étaient juste amis avant. Et je ne comprends pas. Qu'est-ce qu'il a que je n'ai pas ? Une famille normale ? Une vie sans frère toxique ?
C'est pas le moment de plaisanter avec ça.
Je la vois passer ses doigts dans les cheveux de Marius avant de l'embrasser langoureusement. Puis elle s'éloigne en lui soufflant qu'elle a cours. Je suis suffisamment proche pour entendre.
Marius part, et je n'hésite pas. Je m'approche d'elle avant qu'elle ne s'échappe encore une fois.
Je saisis doucement son bras et l'entraîne dans un coin un peu à l'écart, loin des regards.
— Allyson... laisse-moi t'expliquer, s'il te plaît, dis-je en la regardant droit dans les yeux.
Mais elle me coupe aussitôt :
— Ewen... J'avais confiance en toi. Une confiance aveugle. Et toi, tu m'as menti. Tu m'as caché ça. L'identité de ton frère... Comment tu veux que je ne te voie pas comme lui maintenant ?
Ses yeux brillent de larmes. Elle est sur le point de craquer.
Elle tente de s'éloigner, mais je la retiens doucement.
— Arrête de m'ignorer... Je t'en supplie. Tu sais pas ce que je ressens. J'ai passé des jours à m'en vouloir, à me haïr pour ce que je t'ai caché. Mais je ne suis pas lui. Jamais je ne pourrais te faire de mal. Tout ce que je veux, c'est te protéger, prendre soin de toi... jusqu'au dernier jour de ma vie. Je t'aime, Allyson. Je t'aime à en crever. Depuis ce jour où j'avais treize ans, depuis ce regard échangé. Il n'y a que toi. Il n'y aura que toi.
Ma voix tremble. Mon souffle est aussi saccadé que le sien. Nos cœurs battent vite. Trop fort. Trop pareil.
— Si j'ai tenu... c'est grâce à toi. Si j'ai tenu ce jour-là... c'est parce que tu étais vivante. Parce que tu t'es battue. Et puis, t'es revenue dans ma vie, plus forte que jamais. S'il te plaît, ne me laisse pas. Je ne veux pas d'un monde sans toi.
Un silence lourd s'installe. Elle ne répond pas. Mais ses larmes, elles, coulent sans retenue.
Et je comprends.
Elle m'aime encore.
Mais elle ne le dit pas. Elle ne peut pas. Pas maintenant.
Elle tourne les talons. Et s'enfuit. En essuyant ses joues comme si elle voulait effacer ce qu'elle ressent.
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Linked Fates
RomanceAllyson quitte l'Italie pour Southend-on-Sea, en Angleterre, emportant avec elle le poids d'un passé secret qui l'a lentement consumée. Dans cette nouvelle ville, elle s'enferme dans le silence, cherchant refuge dans des mondes imaginaires pour écha...
