chapitre 2: la rencontre à Strasbourg

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La nuit qui suivit le débat fut courte, tout comme celle qui l’avait précédée, et celle d’avant. Jordan avait presque oublié ce que c'était que de dormir huit heures d'affilée, paisiblement, sans être hanté par des cauchemars. Les nuits, pour lui, étaient devenues un terrain miné où chaque fragment de sommeil le rapprochait davantage de son passé, un passé qu'il s'efforçait désespérément d'oublier. Il s'étonnait même de ne pas s'être effondré après le 13 septembre. D'habitude, son corps se rebellait à cette date précise, comme un rappel cruel des traumatismes qu'il cherchait à enfouir. Mais cette année, la douleur semblait refuser de se dissiper, son ombre pesant sur chaque jour qui suivait.

Il aurait voulu mettre des mots sur ces maux, mais cela signifiait se mettre à nu, admettre sa faiblesse, sa vulnérabilité. C'était un luxe que Jordan ne pouvait pas se permettre, surtout pas en cette période cruciale. Alors, comme tout bon politicien, il se leva, encore fébrile de sa nuit agitée. Il se dirigea vers la salle de bain, s'aspergea le visage d'eau froide, et jeta un coup d'œil dans le miroir. Les cernes sous ses yeux étaient plus prononcés que jamais, mais il se força à sourire et se murmura lentement :

— Tu peux surmonter tout ça, non ?

Évidemment, il n'attendait pas de réponse. C'était une phrase qu'il se répétait chaque matin, un mantra qui sonnait plus comme une supplication que comme un encouragement. Mais il était le seul à connaître le chaos qui régnait dans sa vie, et donc le seul à pouvoir y faire face.

Jordan enfila un costume bleu marine impeccablement taillé, l'armure parfaite pour dissimuler ses failles. Il décida d’aller au quartier général à pied, espérant que cette marche lui permettrait de clarifier ses pensées, de dissiper ce nuage épais qui obscurcissait son esprit. Peut-être que cela l’aiderait à surmonter ses peurs, ses angoisses, ses traumatismes.

En chemin, il sortit son téléphone et appela Charles pour lui transmettre le programme de la journée. Comme d’habitude, Charles décrocha après une seule sonnerie, sa voix joyeuse résonnant dans l’oreillette.

— Monsieur, bonjour ! Vous allez bien ? Que puis-je faire pour vous ?

Le professionnalisme et l’enthousiasme inébranlable de Charles surprenaient toujours Jordan. Sur un ton doux, il lui répondit :

— Bonjour Charles. Nous partons pour Strasbourg aujourd'hui. Une soirée est organisée là-bas, avec la présence de tous les chefs de partis, ainsi que du Premier ministre, monsieur Attal, et du président de la République. La soirée commence à 20 heures. Pouvez-vous venir me chercher au QG à 14 heures ? Je souhaite prendre ma chambre d'hôtel avant l'événement.

— Bien sûr, monsieur. Je serai là à 14 heures. Autre chose ?

— Ne venez pas me chercher à l'appartement.

— Très bien, monsieur. À tout à l'heure.

Jordan raccrocha sans un mot de plus. Le trajet à pied jusqu’au QG était estimé à une quarantaine de minutes. Il n’était pas pressé. Cette marche lui donnait l'illusion d'avoir un contrôle sur son esprit, mais c’était une bataille qu’il savait déjà perdue d'avance. Dix minutes après avoir quitté son appartement, les souvenirs refoulés commencèrent à refaire surface, comme des éclairs dans l’obscurité.

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Son père hurlait encore une fois. Cette fois-ci, la raison était ridicule : Jordan avait simplement laissé tomber sa fourchette. Mais pour Jérôme, c’était suffisant pour déchaîner sa colère.

— Tu le fais exprès, Jordan ? Dis-moi que tu n'es pas aussi con que ce que je pense ! Tu es incapable de te tenir correctement, pauvre imbécile ! Tu as dû être fini à la pisse pour être aussi débile. Regarde-moi quand je te parle !

Sous les masques du pouvoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant