Chapitre 1

79 9 8
                                    

Une brise fraîche caressa le visage d'Esther et la fit frissonner. Elle resserra un peu plus son manteau de laine autour d'elle. Elle leva la tête vers le ciel et laissa le timide soleil de mars réchauffer sa peau diaphane. La jeune fille inspira profondément. La brise apportait avec elle des odeurs d'hortensias et de sel. La mer n'était pas loin.
C'était un après-midi calme et paisible. Un après-midi des plus banal à Rochefort-Sur-Mer, un petit village côtier d'Armorique d'une morne tranquillité. On y comptait pas plus de quatre cent et quelques habitants. Tous, ou presque se connaissaient. Dans ce petit village, les jours semblaient s'écouler à une lenteur démesurée, presque effrayante. C'était du moins l'avis d'Esther. La jeune fille de 17 ans était persuadée que si elle restait toute sa vie à Rochefort, elle en mourrait d'ennui. Même l'arrivée des Allemands n'avaient pas semblé altérer le calme morbide de la petite commune.
En mars 1943, les Allemands avaient déjà envahis la France et en occupaient une partie, dont la Bretagne. Ils étaient arrivés un beau matin et avaient imposé leurs lois. Ils avaient limité les zones de pêche, instauré un couvre-feu à 23H et s'étaient installés à 1,5km du village, dans le vieux château de Cormatin. Les officiers, le lieutenant Fischer et le sous-lieutenant Hoffman gardaient une place de choix dans la demeure de M. Laurencin, un homme d'affaire qui avait fait fortune dans les boîtes de conserve. Son manoir  était une demeure imposante qui se situait sur la falaise et surplombait Rochefort. Mr. Laurencin possédait une usine à une dizaine de kilomètres du village. Il était non seulement l'homme le plus aisé du coin, mais c'était aussi le maire. Les deux officiers, voyant l'allure de sa maison n'avaient pas hésité à réquisitionner deux chambres pour s'y installer confortablement.
Esther regardait à présent les ombres de ses amies sur le pavé de la cour. Elle connaissait Anne et Madeleine depuis toujours. Anne était une jolie brune avec un nez légèrement retroussé, de grands yeux noisettes et de belles boucles. Sa silhouette élancée et sa taille de guêpe attiraient le regard de nombreux garçons qui avaient en vain, tenté d'inviter la jeune fille à sortir. Mais son caractère audacieux, intrépide et imprévisible était difficile à apprivoiser. Esther se disait souvent qu'Anne était la parfaite héroïne romanesque : celle qui n'avait peur de rien et qui était toujours prête à défier les règles. Madeleine, quant à elle était une petite blonde avec un peu d'embonpoint, mais avec un visage mignon et avenant. Ses traits chaleureux étaient empreints de douceur et ses yeux bruns débordaient de gentillesse. Son visage était recouvert de taches de rousseur. Du fait de sa grande timidité, elle ne souriait que très peu en public mais lorsqu'on la connaissait bien, on savait qu'on avait là une amie loyale.

- C'est le moment les filles, murmura Anne avec un rictus malicieux

En effet, le moteur d'une voiture se fit entendre et une Mercedes-Benz 540K décapotable dont la carrosserie noire étincelait au soleil, apparue dans la rue et alla se garer devant la mairie, bâtiment qui faisait face à l'école et dont on apercevait la cour de l'autre côté des grilles. Un officier allemand en sortit. C'était le lieutenant Fischer, mais la plupart des habitants le surnommaient Porcinet du fait de son imposante bedaine et de son teint violacé. Son nez dont les narines n'avaient d'égales que les calanques de la falaise, ressemblait au groin d'un cochon. Ses petits yeux noirs se distinguaient à peine derrière ses épaisses lunettes rondes. Sa lèvre inférieure pendait comme si tout le gras de son visage peinait à se contenir dans celui-ci. L'officier s'affairait à remettre le toit de la décapotable en place. Esther jeta un coup d'œil à l'autre bout de la cour. Paul et son frère, Jean, les fils de Mr. Laurencin, la regardèrent en souriant malicieusement. Paul lui fit un clin d'œil et esquissa un léger signe de tête en direction de la voiture. Esther étouffa un rire. Si l'officier se doutait seulement de ce qui l'attendait... .
Alors que Fischer finissait de remettre le toit de la décapotable en place, un fou rire général éclata. Un porc en tenue d'officier allemand était représenté en blanc sur le toit noir de la voiture. Juste en dessous, en grosses lettres capitales était écrit le nom « FISCHER ». Mêmes les professeurs présents dans la cour ne purent se retenir et se joignirent au tonnerre de rire. Fischer, s'apercevant de la blague, se mit à sautiller sur place, en proie à une violente colère. On eut dit un enfant en pleine crise. Son teint violacé devient pourpre. Ses lèvres baveuses tremblaient. Ils seraient les poings et criait en allemand d'une voix qui montait ridiculement dans les aigus. Hoffman sorti de la mairie en courant pour voir ce qu'il se passait. Contrairement à son supérieur, le sous-lieutenant était grand et maigre et les traits de son visage lui donnait l'air simple et naïf. Ses yeux semblaient toujours exprimer de l'incompréhension, quelle que soit la situation. Son surnom à lui était « Simplet ». Porcinet et Simplet. Il n'y avait pas de doute, ces deux-là faisaient la paire. Leur autorité avait toujours été mise à rude épreuve au sein du village. A vrai dire, ce genre de blagues n'avaient pas vraiment arrangé les choses. D'étranges farces leur arrivaient souvent, des farces assez immatures ce qui laissait croire que c'était là l'œuvre d'enfants. Mais comment des enfants pouvaient s'en prendre si facilement à des soldats allemands sans même se faire prendre ? Cela décrédibilisait encore plus les officiers.

Coeur-éclairOù les histoires vivent. Découvrez maintenant