Chapitre 13

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ATTENTION : ce chapitre contient des éléments susceptibles de heurter la sensibilité de certains lecteurs. Merci de votre compréhension. 

10 jours après l'enterrement du vieux libraire, Esther avait repris quelques couleurs. Elle mangeait un peu plus et dormait mieux. Le sentiment de culpabilité était toujours présent mais la jeune fille parvenait néanmoins à trouver quelques moments de paix. Elle ne se sentait plus nauséeuse. Ca l'avait énormément soulagé. Elle se sentait un peu plus légère à présent. Esther eut un peu d'espoir et se dit qu'avec du temps, un jour, elle parviendrait peut-être à ne plus faire de cauchemars.
Quelle ne fut pas sa surprise lorsque, vers quatre heures de l'après-midi, elle vit Eléanore toquer à leur porte. Marie la fit entrer et l'invita à prendre une tasse de thé dans la cuisine. Pierre et François n'étaient pas encore rentrés.

- J'ai décidé de reprendre la librairie, annonça Eléanore d'une voix monotone.

- Vraiment ? C'est merveilleux.

Leur invitée bu une gorgée de thé.

- Mais j'avoue que je suis complètement perdue. Edgar avait vraiment une organisation particulière. Je ne sais pas comment il faisait pour gérer son commerce. C'est un vrai souk.

Esther eut un sourire en coin. Elle avait déjà eu l'occasion de voir le vieillard faire ses comptes et c'était effectivement assez drôle. Elle avait l'impression d'assister à une véritable bataille.

- C'est pour cette raison que je suis venue.

Elle marqua une pose énigmatique pour boire quelque gorgées de thé. Marie et Esther attendaient patiemment la suite. Eléanore devait rarement parler à d'autres personnes aussi longtemps. Certes, elle était institutrice mais son public était composé d'enfants, ce n'était pas pareil.

- Je sais qu'Edgar t'avait embauché, poursuivit-t-elle enfin en s'adressant à Esther. Il m'avait expliqué dans une lettre qu'il était très satisfait de ton travail. Tu le connaissais bien, n'est-ce pas ?

Esther déglutit. Elle avait du mal à soutenir son regard. Elle voyait déjà où la cinquantenaire voulait en venir et la tournure de la conversation ne lui plaisait guère.

- Oui, enfin si on peut dire.

- Je te propose de revenir travailler pour moi. Je pense que ça pourrait m'aider à comprendre comment Edgar fonctionnait. Ne serait-ce que pour son rangement.

Esther resta muette et eut un soudain coup de chaud.

- Ça va ? Demanda Eléanore. Tu es toute rouge d'un coup.

Esther bégaya maladroitement. Sa mère vint à sa rescousse.

- Je pense qu'elle est touchée par votre proposition. Elle avait beaucoup de respect et d'affection pour Edgard. Elle le voyait presque tous les jours, vous savez.

Esther se ressaisit et sentit la tension en elle redescendre. Elle porta la tasse à ses lèvres pour goûter ce fameux thé aux figues. « Merci maman, t'es la meilleure. A croire que tu lis dans mes pensées ».

- Je suis sûre qu'elle serait ravie de revenir travailler avec vous. Elle adore travailler là-bas, à vrai dire.

« Ou pas »
La jeune fille avala sa boisson de travers.

- Euh..., commença-t-elle.

Mais elle ne parvint pas à finir sa phrase car elle toussait toujours.

- Bien. Dans ce cas tu peux commencer dès demain ?

- En fait...

Esther essuya les coins de sa bouche et se prépara à donner une fausse excuse. Mais le problème, c'était qu'elle n'en avait pas. Si elle refusait, sa mère trouverait ça suspect et lui poserait des questions. C'était bien la dernière chose dont Esther avait besoin. Après s'être maudite pour avoir répété inlassablement à sa famille qu'elle adorait travailler à la librairie, elle se fit violence, prit un air ravi et déclara d'une voix qui se voulait enjouée :

- J'adorerais retourner travailler à la librairie. Mais je tiens à vous prévenir.

Elle marqua à son tour une pose énigmatique.

- Oui ? l'encouragea Eléanore sur un ton lassé.

Marie la regardait, perplexe, en l'interrogeant du regard.

- Je ne faisais pas grand-chose. A vrai dire, mon travail consistait globalement à ranger quelques livres et nettoyer les étagères. Il m'arrivait parfois de tenir la boutique lorsqu'Edgar montait se reposer ou partait faire une course mais c'était assez anecdotique. Alors, je ne sais pas si je pourrais vous aider à voir plus clair dans sa gestion.

- Et bien tant pis, au moins tu m'économiseras du temps et je pourrai davantage me concentrer sur ce problème.

« Bon, ben au moins j'aurais tenté ».
Après le départ d'Eléanore, Esther monta dans sa chambre en prétextant un mal de crâne et n'en sortie que pour le dîner. Elle ouvrit à peine la bouche. Elle sentait le regard azuré de sa mère se poser sur elle de temps à autres mais n'en fit pas cas.
Ce soir-là, la jeune fille parvint à s'endormir assez vite.

Elle est seule sur une plage. Elle est pieds nus. Elle le sait car elle peut sentir les grains de sable rouler entre ses orteils. Elle porte une main devant ses yeux. Le blanc éclatant du sable l'aveugle. Entre ses doigts, elle aperçoit le coucher du soleil. Mais ce crépuscule n'est pas doux, ni chaleureux. Il est pesant. Le soleil semble écraser la mer. La teinte du ciel est étrange. Il est rouge. D'un rouge aigu. Elle sursaute lorsque des vagues lui enserrent les chevilles. L'eau est chaude... et épaisse, presque poisseuse. Elle regarde le sol. Ce qu'elle voit lui coupe le souffle. Ses pieds sont recouverts de sang. Elle relève la tête. La mer tout entière est rouge. Du sang. Un océan de sang s'étend devant elle, à perte de vue. Elle recule, prise de terreur mais ses pieds se prennent dans quelque chose et elle tombe en arrière. Elle se redresse. Sa main se pose sur une matière molle et froide. Elle regarde. Un soldat allemand est étendu dans une mare de sang. Mais il n'a plus de visage. A la place, il n'y a qu'un trou béant. Elle se relève en hurlant. Puis quelqu'un la tire par la taille. Elle se débat machinalement. Elle parvient assez facilement à faire lâcher prise au nouveau venu. Elle se retourne. Il s'agit du lieutenant König. Ses lèvres bougent mais aucun son n'en sort. Voyant qu'elle ne le comprends pas, il lève le bras et pointe du doigt une chose derrière la jeune fille.
Edgar.
Il est seul, à terre, désarmé. Derrière lui, à quelques mètres, Schmidt le vise de son revolver. On pourrait trouver cela cruel et horrible, se dire que le vieillard est sans défense et qu'il faut l'aider à tout prix. Mais Esther n'ose pas s'approcher. A-t-elle peur de se prendre une balle perdue ? Non. Non, ce n'est pas ça. Edgar la fixe. Ses yeux semblent sortir de leurs orbites. Sa bouche, anormalement grande se mouve en une sorte de rictus délirant. Ses dents sont rouges de sang. Il la fixe. ELLE. Il ne dit rien. Il ne fait rien. Il reste figé dans cette étrange et perturbante expression, telle une statue. L'air autour d'Esther semble s'embraser et devenir de plus en plus lourd. Elle a l'impression que la mer de sang remonte la plage pour venir l'étouffer, que le ciel s'abaisse et se rapproche de la terre pour venir l'écraser. Elle ne respire plus. Elle étouffe. PAN !

Esther se redressa d'un coup dans son lit. Des sueurs froides traversaient son dos. Des frissons parcouraient son corps tout entier. Elle alluma aussitôt sa lampe de chevet. Il n'y avait personne. Elle était seule dans sa chambre. Un rouge-gorge chantait au dehors. Pas de mer de sang. Pas de soldat défiguré. Pas de lieutenant König, ni d'Edgar, ni de Schmidt. Elle jeta un coup d'œil à son réveil. Quatre heures du matin. Elle s'assit contre sa tête de lit et prit un temps pour calmer sa respiration. Elle regarda le ciel étoilé par sa fenêtre. Elle parvint à apercevoir Cassiopée. Elle resta ainsi, à admirer la voûte céleste jusqu'à ce qu'elle aperçoive les premiers rayons de l'aurore.


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