Chapitre 7

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Paul et Jean se dirigeaient vers la haute bâtisse grise perchée sur la falaise. Paul l'avait toujours trouvé sinistre. Ils s'avancèrent vers les grandes portes noires sur lesquelles on pouvait voir un heurtoir plaqué or, représentant une chimère. Une créature mythologique mi-lion, mi-chèvre avec un serpent en guise de queue. Petits, les garçons en avaient une peur bleue. Leur père avait toujours trouvé ça ridicule :

- Mais enfin, c'est puéril, grognait ce dernier. Cette chose ne va pas s'animer pour vous croquer les doigts !

Mais leur mère prenait toujours leur défense.

- C'est bon Charles, ce n'est pas grave. Ils sont encore petits. Quand ils grandiront, ils verront qu'ils ne craignent rien.

Leur mère... son doux sourire... sa peau dorée... ses longs cheveux bruns-roux... ses grands yeux noirs dont le trait de crayon les rendaient semblables à ceux d'une biche. Caterina était belle, la plus belle femme de tout le village. Fille d'un riche marchand d'étoffes italien, son charme avait envoûté leur père lors d'un voyage d'affaire à Venise. Il en était revenu avec un nouveau partenaire commercial et une fiancée. Mais elle fut prise d'un mal aussi soudain qu'impitoyable et huit ans plus tard, c'était la tuberculose qui à son tour l'emportait. A l'époque, Paul n'avait que sept ans et Jean cinq. Et si le cadet ne conservait que peu de souvenirs de sa mère, Paul faisait tout pour se la rappeler. Il avait conservé ses fioles de parfum qui à présent étaient vides. Son père avait fait presque immédiatement enlever ses affaires (peut-être parce qu'il ne supportait pas de les voir) mais le jeune homme avait réussi à substituer ses boucles d'oreilles préférées : des boucles d'oreilles en argent représentant des papillons avec des onyx en guise d'ailes. Il les conservait précieusement dans une boîte cachée sous une latte de parquet. Il ne voulait pas que son père, ou que n'importe qui d'autre puisse tomber dessus. C'était SON jardin secret et même Jean l'ignorait. Il détestait le fait que son père ne parle jamais de leur mère ou ait enlevé toutes les photos d'elle dans la maison. Comme s'il voulait l'effacer, comme s'il l'avait oublié. Mais Paul, lui, ne l'oublierait jamais. Il s'en était fait le serment, l'avait juré sur la bible même ! Qu'importe les combines de son père pour la faire disparaître de leurs mémoires, elle resterait gravée à jamais en lui !

A peine les garçons eurent-ils franchis le pas de la porte que Paul se prit une gifle qui lui fit voir trente-six chandelles.

Son père se tenait devant lui, bras croisés, l'air furibond dans son costume trois pièces.

- Salut papa, moi aussi content de te voir, comment ça va ? dit Paul d'un ton nonchalant.

- Petit con ! C'était toi pas vraie ? Avoue.

- Papa.., entama Jean qui fit un pas vers son père mais se ravisa lorsque celui-ci le stoppa d'un geste.

- Paul ?!

- J'ignore de quoi tu parles, répondit celui-ci avec un air faussement innocent.

Il vit les narines de son père se dilater. Le provoquer était un de ses passe-temps préférés.

- Petit saligaud ! Ecoutes-moi bien, je refuse que tu entraînes ton frère dans tes conneries, c'est clair ?

- Papa, mais enfin de quoi tu parles ?

- Tu sais très bien ! répondit le maire en haussant la voix

Il se reprit aussitôt en se raclant la gorge.

- Tu sais très bien. Ce poème stupide sur l'église ! Tu as conscience que ça pourrait se retourner contre tout le village ?! Cesses donc de faire l'enfant, nom de Dieu ! s'exclama-t-il en lui agrippant soudain le bras.

- Tu me fais mal, dit Pierre d'un ton pourtant très calme mais d'un regard meurtrier.

Ils se toisèrent pendant quelques secondes, en se regardant en chiens de fusil. Puis le maire desserra son étreinte et reprit à voix baisse :

- Ça fait longtemps que j'ai des doutes. La voiture de Fischer, la farine, et maintenant ça !

- Pourquoi ça aurait forcément un rapport avec moi ?

- Parce que je te connais Paul ! Oui je sais, ça ne te fais pas plaisir d'entendre ça, reconnu-t-il en voyant la moue de son fils. Que tu le veuilles ou non tu es mon fils ! Je te connais par cœur ! Je sais que tu prends bien peu de choses au sérieux et que tu n'as pas peur de jouer les emmerdeurs envers des gens qui ont des fusils ! Mais tu sais quoi ? Je me fiche bien que tu reconnaisses les faits ou non. Pour une fois, tu vas m'obéir. Cesses tes âneries et surtout, n'embarque pas ton frère là-dedans.

- Mais il ne m'embarque pas ! se défendit Jean.

- Toi aussi tu as ton lot de responsabilités. Pourquoi tu le suis dans ses idioties ? Vous voulez mourir ou quoi ?

- Mourir ? Sérieusement ? Tu dramatises trop, soupira Paul.

- Ce Schmidt n'est pas comme Fischer. Il est réputé pour être intraitable et cruel. J'ai entendu des histoires sur lui, des choses abominables. Cet homme aime le sang, il n'a aucune pitié, on dit même que c'est un dégénéré. Il faut se montrer sur nos gardes. Il a déjà commencé à répandre son venin.

Le maire sembla soudain perdu dans ses pensée, les yeux fixant le sol avec gravité. Il se recroquevilla sur lui-même et paru soudain tout petit. Si Paul tiqua légèrement en entendant sa dernière phrase, il l'effaça de son esprit en une seconde.

- Un vrai démon, railla Paul. J'ignorais que tu t'étais mis à écouter les potins, t'es une vraie com...

Mais son père, qui sortit aussitôt de sa transe le coupa brutalement, à bout de nerfs.

- Pourrais-tu au moins une fois dans ta vie prendre ce que je te dis au sérieux ?! J'essaie simplement de te protéger de ta connerie ambulante. Tu es toujours le premier à foncer tête baissée dans les ennuis.

- Tu sais bien que c'est mon seul talent, ricana Paul. Toi et moi savons que je ne suis qu'un bon à rien.

Son père le considéra avec un air résigné. C'était un dialogue de sourd. Il soupira.

- Si tu ne peux pas prendre ta vie en mains, tâche au moins de la préserver. Et n'embarque pas ton frère. J'ai encore de l'espoir pour lui.

Sur ces mots, il monta les escaliers de marbre et s'enferma dans sa chambre. Jean s'approcha doucement de Paul et voulu poser une main réconfortante sur son épaule mais ce dernier se dégagea.

- La dernière chose dont j'ai besoin, c'est de ta pitié, siffla-t-il entre les dents.

Il serra les jointures. Il avait une soudaine envie de frapper les murs.

- Mais je ne m'apitoie pas sur ton sort ! S'agaça Jean. Un jour frérot il va falloir que tu apprennes à écouter les autres et à ne pas tous prendre mal. Il veut simplement nous protéger.

- Parles pour toi, riposta son aîné. Tu l'as entendu ? Il n'en a plus rien à faire de moi. Tout ce qu'il veut c'est protéger sa petite réputation de maire.

- Tu dis n'importe quoi.

- Je te jure qu'un jour je me barrerait très loin d'ici, assura Paul. Et je te parie qu'il se débarrassera de mes affaires dès le lendemain. Il fera comme avec maman. Il m'effacera de sa mémoire avec grand plaisir.

- Arrêtes avec ça ! Lui aussi il l'a perdu. Il a fait son deuil à sa manière, c'est tout !

- Des excuses. Cesse de lui trouver des excuses Jean. C'est loin d'être un saint.

Sur ce, Paul monta à son tour les escaliers et passa le reste de sa soirée dans sa chambre.


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