Chapitre 6

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Le maire et les officiers nouvellement institués étaient arrivés à la mairie quelques minutes après. Mr. Laurencin les fit entrer dans le bureau destiné à l'officier supérieur.

- ... et voici votre bureau Capitaine. J'espère qu'il vous plaira.

L'officier entra et fit le tour de la pièce assez rapidement. Il alla derrière le bureau et effleura du bout des doigts la surface en bois d'ébène.

- Ça fera l'affaire.

Il examina le matériel sur le bureau : quelques livres, des cahiers, des stylos et une machines à écrire. Tandis qu'il fouillait, il demanda :

- Le photographe... qui est-il ?

- C'est le libraire du village. Un vieil homme solitaire qui vit en ermite, si on peut dire.

- Quel est son nom ?

- Edgar Lefebvre, répondit le maire étonné qu'on lui pose autant de questions sur le vieillard.

- Un vieil homme comme lui a dû voir beaucoup de choses au cours de sa vie.

- Je suppose.

- La Grande guerre ?

- Il y a participé, oui. Je crois qu'il était dans l'infanterie.

- Un ancien combattant..., conclu Schmidt d'un air pensif. Vous devez être fier monsieur le maire.

Ce dernier ne dit rien, ne sachant que répondre. Fier ? Certainement, mais pouvait-on dire cela devant eux ? Devant ceux qui avait subi une défaite 20 ans auparavant notamment grâce aux soldats tels qu'Edgar ? Mr. Laurencin eut un mauvais pressentiment. Pourquoi poser tant de questions sur le vieux libraire ?

- Il ne doit pas porter les Allemands dans son cœur n'est-ce pas ? Demanda à nouveau le capitaine, ignorant le mutisme de Mr. Laurencin.

Une fois encore, que répondre à cela ? Nouveau silence de la part de son interlocuteur qui piétinait sur lui-même, mal à l'aise.

- Mais enfin Mr. Laurencin, pourquoi cet embarras ? Ça ne m'étonnerait pas. Moi à sa place, je haïrais les Allemands. Je chercherais à me venger, à montrer à l'envahisseur que je n'ai pas peur, que je préfèrerais mourir que de leur laisser croire que je suis à leur merci. Vous savez Mr. Laurencin, la vengeance survient quand on n'a pas l'espoir d'une revanche.

Le maire comprit immédiatement le sens caché des mots de l'officier. Derrière cette image calme et distinguée, Schmidt réaffirmait la domination de l'Allemagne sur la France ou plutôt, il réaffirmait sa position au sein du village. « Avec cette homme-là, on n'a pas le droit à l'erreur », pensa le maire.

- Ce vieillard n'avait pas l'air très en forme d'ailleurs, ajouta le Capitaine mais son ton indiquait davantage une question.

- Il a eu quelques problèmes de santé récemment, expliqua le maire d'une voix enrouée.

- C'est évident. Au vu de son âge, ça n'étonne personne. Il ne doit plus en avoir pour longtemps. La mort va probablement bientôt le faucher.

Le maire dégluti avec peine. Il avait dit cela avec temps d'indifférence. Quelle froideur ! L'officier s'avança vers la fenêtre et écarta les rideaux pour regarder au dehors. Il suspendit son geste en remarquant qu'un fil pendait de sa manche. Il le contempla à la lumière du jour. Il semblait perdu dans une profonde réflexion.

- Vous connaissez le mythe des Moires Mr. Le maire ?

L'intéressé, interloqué, mit un moment à répondre.

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