Chapitre 16

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Ils restèrent ainsi, à se fixer pendant une bonne dizaine de secondes, incapables d'émettre un son. Jean n'osait plus respirer. Il sentit des sueurs froides couler le long de son dos et fit de son mieux pour empêcher ses genoux de trembler. Paul devint pâle comme neige. Il avait les mains moites. Que faire ? Ils allaient être dénoncés. Ils seraient sûrement arrêtés et on les interrogerait pour savoir ce qu'ils manigançaient. Ils seraient probablement fusillés en place publique. Une voix provenant du bunker les fit sursauter.

-          Leutnant ? Leutnant ? Wo sind Sie ? (Lieutenant ? Où êtes-vous ?)

Aussitôt, l'officier se précipita vers les deux frères, sans que ces derniers n'aient le temps de réagir. Il les poussa à terre en les obligeant à se baisser derrière le buisson. Ce dernier était assez haut et arrivait environ aux épaules du lieutenant.

-          Da ! (ici)

Le soldat qui avait appelé l'officier s'approcha.

-          Nein ! Bleiben Sie, wo Sie sind. Ich musste dringend auf die Toilette (Non ! Restez où vous êtes. J'ai eu une envie pressante).

Le soldat se retourna aussitôt.

-          Es tut mir leid, Leutnant (Veuillez m'excuser, lieutenant).

L'officier grogna un flot de mots inintelligibles (sûrement des choses peu flatteuses pour Paul et Jean). Puis il se baissa vers ces derniers qui étaient restés paralysés.

-          Ne bougez pas, leur murmura-t-il.

Il sortit de derrière le buisson et revint vers les autre soldats, non sans jeter un ou deux petits coups d'œil furtifs vers la cachette des deux frères. Ces derniers ne savaient pas s'ils devaient lui faire confiance et rester. C'était de la folie d'obéir à un officier allemand qui venait de les découvrir si près d'un lieu aussi stratégique. D'un autre côté, s'ils tentaient de fuir maintenant, ils se feraient sûrement repérés par les soldats. Cinq minutes plus tard, ils n'avaient toujours pas bougé. Jean eut le malheur de poser sa main sur une brindille. Celle-ci émit un léger craquement... qui dans le silence de la forêt, raisonna comme un coup de tonnerre.

-          Was war das ? (Qu'est-ce que c'était ?)

Les deux frères se regardèrent paniqués. Paul jeta un coup d'œil entre les feuilles du buisson. Les soldats pointaient leur fusils vers leur cachette. Ils approchaient.

-          Es muss wohl ein Tier sein (ça doit sûrement être une bête), lança le lieutenant au soldat qui ne se trouvait qu'à deux ou trois mètres du buisson.

Jean couvrit sa bouche de sa main. Des gouttes de sueurs perlaient sur le front de Paul. Le plus perturbant, c'est qu'ils ne savaient pas ce que se disaient les Allemands. Et si le lieutenant les avaient balancé ?

-          Ein Wildschwein, denken Sie? (Un sanglier, vous pensez ?) demanda le soldat.

L'officier opina, l'air de rien. Mais le soldat approchait toujours.

-           Lassen Sie mich. Ich liebe es, Wildschweine zu jagen (Laissez. J'adore chasser le sanglier), lança le lieutenant avec enthousiasme.

Le soldat lui tendit son arme. Il s'en saisit et approcha lentement du buisson. Il se positionna juste à droite des frères, un peu en arrière, de sorte qu'ils ne puissent pas le voir. Puis soudain il surgit et les visa de son arme. Paul et Jean faillirent hurler mais l'officier leur fit un clin d'œil furtif et dévia le fusil plus loin en tirant à une dizaine de mètres sur une cible imaginaire. Il fallut deux secondes à Paul pour comprendre.
Un. Le terrible bruit que produisit l'engin lui donna l'impression qu'on lui crevait les tympans. Il put sentir l'air autour de lui trembler.
Deux. La salve de coup de feu brouillait tous les sons dans la forêt. Paul saisit cette opportunité. Il agrippa son frère par le col et l'obligea à fuir à quatre pattes. Personne ne pouvait les entendre.

Après une dizaine de coups de feu, ils avaient pu s'éloigner assez du bunker. Le lieutenant cessa le feu et se retourna vers ses subalternes.

-          Es war ein Fuchs. Er ist geflüchtet. Ich habe ihn knapp verpasst (c'était un renard. Il s'est enfui. Je l'ai manqué de peu), leur dit-il.

***

Les garçons avaient ralenti l'allure et s'étaient remis à marcher.

-          Quand les filles apprendront ce qu'il s'est passé, elles nous tuerons, se mortifia Jean.

Paul s'arrêta brusquement, une main en travers du torse de son frère pour l'obliger à faire de même.

-          Comment ça « quand elles l'apprendront » ? Pourquoi voudrais-tu qu'elles soient au courant ?

-          Attends, ne me dis pas que tu ne vas rien leur dire !

-          Bien sûr que si, répondit Paul. Et tu n'as pas intérêt à leur dire quoi que ce soit sur ce qu'il vient de se passer.

-          Mais pourquoi ?!

-          Pour un tas de raisons !

La voix de Paul avait résonné entre les arbres.

-          Premièrement, énuméra-t-il. Les mettre au courant, c'est les mettre en danger. Deuxièmement : temps que König ne nous balance pas, il n'y rien qui nous pousse à leur dire.

-          Et qu'est-ce qu'il te dit qu'il va se taire ?

-          Il nous a aidé, il a même joué la comédie pour ça, alors je ne pense pas qu'il gâcherait ses efforts en mouchardant. Et puis, s'il n'a rien dit pour Albert, il va bien se taire pour nous.

-          Pas faux, concéda Jean. Mais bon, quand même. Je déteste savoir que ma vie est entre les mains d'un officier allemand.

-          C'était déjà le cas avec Schmidt, non ? Avec lui au commande, personne n'est à l'abri. Pas même le pire des collabos. Au moins, König a l'air d'avoir des principes. Et puis, il y a une troisième raison, et pas des moindres, qui nous pousse à ne rien dire aux filles.

-          Laquelle ?

Demanda Jean, perplexe. Ne venaient-ils pas d'exposer les arguments les plus convaincants ?

-          Celle que tu as fait remarquer en premier : si elles l'apprennent, elles nous massacreront avant d'en laisser le temps à Schmidt.


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