Chapitre 9

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Esther ouvrit les yeux. De pâles rayons de soleil s'insinuaient entre les volets de bois verts. Une multitude de petites poussières virevoltaient au-dessus de la jeune fille. Elle les observa un moment tout en s'étirant. Puis soudain, les images de la veille lui revinrent en mémoire et elle se recroquevilla sur elle-même en serrant son oreiller dans ses bras. Un début de migraine s'empara d'elle. Ces images finiront-elles par disparaître un jour ? Elle éprouva le besoin de parler à quelqu'un, à ses amis. Elle se leva, s'habilla et descendit les marches en se tenant fermement à la rambarde. Elle avait l'impression que ses jambes pouvaient la lâcher à tout moment. Elle avait besoin d'air. Elle enfila son manteau et son écharpe et s'apprêta à ouvrir la porte. Alors qu'elle avait la main sur la poignée, la voix de sa mère provenant de la cuisine la retint :

- Tu t'en vas ?

- J'ai besoin de prendre un peu l'air. Je pense que je vais aller rendre visite à Anne.

- Tu ne manges pas ?

- Je n'ai pas très faim.

Son frère qui n'était pas présent lorsqu'Esther était revenue la veille la regardait fixement comme s'il tentait d'apercevoir des tâches de sang sur elle. Elle l'ignora.

- Tu ne crois pas qu'il vaudrait mieux que tu restes à la maison pour te reposer ? demanda son père.

- Non j'ai vraiment besoin de prendre l'air.

Son père soupira en se reconcentrant sur son assiette.

- Comme tu voudras, concéda-t-il d'une voix presque inaudible.

Esther sortit et partit en direction de l'appartement d'Anne. Celle-ci était fille unique. Ses parents étaient pharmaciens. La famille vivait au-dessus de leur commerce, non loin de la place de l'église, dans une des rues adjacentes. Esther marchait d'un pas dynamique tout en remplissant ses poumons d'air iodé. Il n'y avait aucun nuage dans le ciel mais un vent assez fort et frais soufflait en cette matinée. La jeune fille resserra son écharpe autour de son cou et descendit la rue. Esther arriva devant la pharmacie. Elle entra. Mme Martin se trouvait devant le comptoir.

- Je suppose que tu viens voir Anne, dit-elle sèchement. Elle est là-haut. Mais fais vite, elle a des devoirs. A moins que tu ne l'aide.

- Pourquoi pas. Merci Mme Martin.

Elle n'avait jamais vraiment apprécié les parents d'Anne. Ils s'étaient toujours montrés antipathiques et intransigeants, surtout envers leur fille. Jusqu'à hier encore, les Martin lui semblaient plus autoritaires que les Allemands. Mais aujourd'hui, ils faisaient pâles figures à côté de Schmidt. Esther monta jusqu'à l'appartement. Elle toqua à la porte. Mr. Martin, une mine lassé lui ouvrit.

- Bonjour Mr. Martin.

- Anne est dans sa chambre, dit-il de but en blanc.

- Merci.

Tandis que la jeune fille se dirigeait vers la chambre de son amie, le père de cette dernière lui lança :

- Au fait, c'est vrai ce qu'on dit ? Edgar est mort ?

Esther se figea. Elle sentit ses yeux lui piquer. Comment pouvait-on faire preuve d'une telle indifférence ? On aurait dit que Mr. Martin parlait de simples commérages. Esther fit de son mieux pour contenir sa colère en répondant :

- Oui.

Elle n'osa pas parler davantage de peur de crier des insultes. Elle toqua à la porte de la chambre d'Anne. Cette dernière lui ouvrit dans la seconde. La brunette lui sauta dessus en la prenant dans ses bras. Elles restèrent ainsi un moment puis Anne la fit entrer, referma la porte et toutes deux s'assirent sur le lit. Esther remarqua que son amie avait de gros cernes sous les yeux.

- J'ai pleuré toute la nuit Esther. Je me sens si mal. Et toi ? Comment vas-tu ?

- C'est pas mieux. Je le revois sans arrêt mourir, dès que je ferme les yeux. Je n'ai même pas osé dormir toute seule dans le noir, ma mère a dû me veiller. Tu aurais dû voir l'état dans lequel j'étais hier en rentrant, après ce bain de sang...

Esther eut de nouveau des nausées. Elle se prit la tête entre les mains.

- Je ne peux qu'imaginer, murmura Anne en lui frottant gentiment le dos.

Soudain, la voix de Mr. Martin résonna dans l'appartement :

- Anne, tu invites tout le village ou bien ? demanda-t-il avec agacement. Y'a la fille des boulangers qui est là aussi.

A peine eut-il fini sa phrase que quelqu'un frappa timidement à la porte. Anne se leva et ouvrit à Madeleine qui paraissait embarrassée.

- Désolé, je ne voulais pas déranger, murmura-t-elle.

- Mais non, ne fais pas attention, la rassura Anne. Tu sais bien que mes parents n'aiment voir personne. Ce n'est pas contre toi.

Madeleine acquiesça puis posa son regard brun-chocolat sur Esther.

- Je suis désolé pour Edgar, dit Madeleine en enlaçant son amie. Je me sens tellement coupable. On n'aurait pas dû sollicité son aide.

- Madeleine, tu n'as pas à t'en vouloir, c'est moi qui lui ai proposé, voulut la rassurer Esther, mais sa voix se brisa.

C'était sa faute si Edgar était mort. Elle l'avait impliqué dans leur combine et c'était lui que les Allemands avaient pris pour responsable. Elle se mordit la lèvre. Elle avait envie de fondre en larmes.

- Alors, qu'est-ce qui t'amène Madeleine ? demanda Anne en essayant de changer de sujet.

- Les garçons ont prévu une réunion à la vieille bicoque. Je venais te prévenir. J'allais me rendre chez Esther juste après, mais comme tu es là, dit-elle en faisant un signe de tête vers l'intéressée, ça fait d'une pierre deux coups.

- Bon, soupira Anne. Ben, il n'y a plus qu'à y aller alors.

Les filles se préparèrent donc à sortir.

- Où vas-tu ? demanda Mr. Martin à sa fille.

- On voulait aller marcher histoire de se changer les idées. On pense beaucoup à Edgar, tu sais ?

- Tu disais qu'il te faisait peur avec son air grincheux, contesta le pharmacien.

Anne soupira.

- Oui mais quand même ! Ca fait un choc de se dire qu'il est mort dans de telles circonstances ! Et puis..., elle glissa un regard vers Esther avant de se reconcentrer sur son père, c'est pour Esther. Elle ne se sent pas très bien. Madeleine et moi, on l'emmène prendre l'air.

Son père regarda Esther qui était toute pâle et avait de grands cernes sous ses yeux. Il dû avoir pitié de cette dernière car il finit par acquiescer.

- Rentre avant ce midi.

- Je serai là, promit Anne.


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