Le vendredi, après les cours, Paul se rendit à la vieille bicoque. Il espérait y trouver un peu de calme pour réfléchir au cours des évènements. Il avait beaucoup pensé à ce qu'avait fait le lieutenant pour les aider. Ce type n'était vraiment pas commun. Il semblait ne rentrer dans aucune case. Paul toqua à la porte du refuge selon le code. Même s'ils n'avaient pas convenu d'une réunion, leur règlement les obligeait à le faire quand même. Une voix féminine lui cria :
- Entrez !
Paul reconnut Esther. Que faisait-elle ici ? N'était-elle pas censée être à la librairie avec Eléanore ? Il entra. La porte grinça sur ses gonds, comme d'habitude. Esther était assise dans le canapé, un livre entre les mains.
- Tu ne vas pas à librairie ce soir ? demanda le jeune homme en s'installant confortablement dans le fauteuil de cuir.
- Eléanore avait une course à faire à Paimpol.
- Ah... . Et du coup, tu fais quoi ?
La jeune fille brandit l'ouvrage qu'elle tenait.
- J'ai chipé un livre.
- Esther Leroy : toujours le nez dans les bouquins, plaisanta Paul.
Esther lui sourit à son tour. En réalité, elle n'était pas parvenue à se concentrer sur sa lecture. Le lieutenant occupait ses pensées. Elle n'arrivait pas à le cerner. C'était presque... frustrant. Paul interrompit le fil de sa réflexion.
- Dis-moi Esther, je me demandais...
Elle referma le livre qu'elle posa sur ses genoux.
- Qu'est-ce que tu penses du lieutenant König ?
Elle regarda Paul avec des yeux ronds et se retint de pousser une exclamation ahurie. Il savait lire dans les pensées ou quoi ? Elle trouva un intérêt soudain à la couverture de l'ouvrage, sous ses yeux.
- Pourquoi tu me demande ça ? dit-elle mal à l'aise.
- Je ne sais pas. Je le trouve bizarre. Enfin, non pas bizarre...
Paul cherchait ses mots.
- Disons plutôt...différent.
- Différent ?
Ah ça c'était sûr ! Il était différent.
- Oui. Après tout, c'est bien la première fois que j'entends qu'un officier allemand aide un Français, surtout un Français qui tente de le tuer. Et il aurait pu se venger mais il a garder ça pour lui. Peu de gens ferait ça.
- C'est vrai, concéda Esther.
Mais s'il n'avait rien dit, c'était aussi parce que ses supérieurs avaient des exigences concernant le fermier et sa production. Ils avaient besoin de vivres et peu importait la santé d'un vieux fermier tant qu'il pouvait servir à quelque chose. En fin de compte, il avait obéi aux ordres de Schmidt, comme lorsqu'il était venu arrêter Edgar.
- D'un autre côté, c'est lui qui est venu chercher Edgar. Il ne faisait peut-être qu'obéir aux ordres.
- Oui mais il ne lui a pas tiré dessus. C'est Schmidt qui l'a tué.
- Je sais Paul. Inutile de me le rappeler.
- Désolé.
Les deux amis se turent quelques instants. Même si les arguments d'Esther étaient fondés, il avait la ferme conviction qu'il ne s'agissait pas que de cela. S'il obéissait vraiment et aveuglément aux ordres, il les aurait dénoncé, lui et son frère. Ce type n'était pas qu'un chien aux abois de son maître. Il avait des principes. Et une personne qui tient à ses principes à tels point qu'elle risque son poste, voir même sa vie pour les respecter, est une personne qui peut défier une idéologie telle que celle des nazis, si ces mêmes principes sont mis en jeu.
- N'empêche que je ne peux pas m'empêcher de le trouver différent, repris Paul.
- Ça reste un nazi, déclara Esther.
- Qu'est-ce que tu en sais ?
- Il est dans l'armée nigaud !
- Et alors, ça ne veut rien dire. Si ça se trouve, il a été enrôlé de force.
- En tant qu'officier ?
- Ouais.
Esther trouvait les arguments de Paul légèrement douteux. Les grades d'officier étaient des places de choix au sein de l'armée. Pour les obtenir, il fallait travailler dure, suivre une formation difficile, intégrer une école militaire... . Il fallait une sacrée motivation et une forte détermination. On ne s'engageait pas sur un tel chemin pour défendre des idéaux contraires aux siens.
- J'en doute. Pourquoi il t'intéresse autant ?
Elle trouvait l'intérêt du garçon pour l'officier assez suspect. Après tout, c'était ELLE qui avait été témoin de l'étrange comportement du lieutenant, pas LUI.
- Il me rend perplexe. Pas toi ?
- Non, mentit-elle.
Elle avait parlé trop vite, trop précipitamment. Elle n'était pas douée pour mentir. Elle avait pensé à lui toute la matinée (pas de la façon dont vous croyez). Elle eut un petit coup de chaud. La jeune fille baissa la tête pour cacher son malaise.
- C'est ça. Je te crois, ricana Paul.
- C'est vrai, je t'assure.
- Ouais, c'est pour ça que tu es aussi rouge qu'une tomate.
Elle lui lança un coussin en pleine tête.
- Fermes-la crétin !
Il rit. Puis reprenant son sérieux :
- Sérieusement Esther, penses-y. Tous les Allemands ne sont pas forcément des nazis. Tu es la première à dire qu'on ne doit pas se fier aux apparences. C'est ce que tu disais tout le temps à propos d'Edgar. « Il n'est pas aussi rude que vous pensez », « Il faut apprendre à le connaître », « Cessez vos préjugés », « Bla bla bla... ».
Esther se maudit pour ses bonnes paroles. Pourquoi fallait-elle qu'elle se donne des aires de Ghandi ?! Elle lui jeta à nouveau un coussin à la figure.
- Tu vas m'envoyer tous les coussins du canapé en pleine tête ?
- Oui.
- Sérieusement, essaie d'y penser, la pria-t-il. J'ai besoin de tes lumières.
Esther trouvait vraiment étrange son insistance. D'habitude, il ne s'intéressait aux officiers que pour leur faire des canulars ou se moquer d'eux.
- Pourquoi ? Tu veux lui faire un sale coup ?
- C'est juste que ... j'aime bien savoir à qui j'ai à faire, c'est tout, répondit-il. Il vient tous les soirs dîner chez nous mais il n'ouvre jamais la bouche. C'est perturbant.
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Coeur-éclair
RomanceEn mars 1943, malgré l'occupation, les jours s'écoulent avec une lenteur démesurée dans le petit village de Rochefort-sur-mer, en Bretagne armoricaine. Mais voilà qu'un nouveau régiment arrive pour prendre la relève et troubler ce calme sordide. Es...