Chapitre 19

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Ce soir-là, Pierre et François rentrèrent vers neuf heure. Ils étaient allés boire un verre au bar du port. Marie leur passa un savon mais n'insista pas. Ils avaient l'air exténué. Depuis le début du dîner, ils n'avaient de cesse de se plaindre des Allemands.- J'ai l'impression qu'on a déjà pêché tous les poissons de la zone, se plaignait François. A quoi bon se lever si tôt si c'est pour rien pêcher ? - J'en ai plus qu'assez des règles des Fritz. Qu'ils aillent pêcher le poisson eux-mêmes ! s'exclama son père. Ils ont toujours aimé donné des ordres de toute façon. Ça fait partie de leur nature. - Tu penses vraiment que tous les Allemands sont des brutes ? demanda soudain Esther. Ce n'est pas inscrit dans leurs gènes. Il y eut un grand silence à table et tous les regards se tournèrent vers la jeune fille. Son père et son frère la regardaient comme si elle était devenue cinglée. - Ce n'est peut-être pas inscrit dans leurs gènes, mais c'est inscrit dans leur culture, répondit son père. Ce qu'ils veulent, c'est nous mettre à genoux, nous humilier. La guerre est leur culte. Ils l'adorent ! La vénère comme une déesse ! A ton avis, pourquoi en déclenchent-ils une tous les 20 ans, hein ? Esther ne sut quoi dire. Elle faillit rappeler à son père que les Allemands n'avaient pas été la cause de la Grande Guerre mais que celle-ci avait été le résultat d'un conflit social au sein d'un même Empire cependant elle se ravisa. Il avait l'air assez en colère comme ça. Elle comprenait pourquoi sa famille trouvait ses réflexions étranges. Esther et son frère avaient été élevée dans la rancœur et la critique du peuple allemand. Dans leur famille, on ne disait pas : « Allemands », mais « Boches » ou « Fritz ». Mais depuis quelques temps, elle commençait à se poser des questions et à reconsidérer son avis. Depuis sa rencontre avec le lieutenant König, pour être exact. Ce dernier avait ébranlé ses opinions et l'obligeait à se remettre en question à chaque fois qu'ils se voyaient. C'était ... perturbant. - Mais certains sont peut-être différents, insista la jeune fille. Son frère soupira et leva les yeux aux ciel. - Esther, tu es vraiment trop naïve ! Le monde n'est pas un conte de fée.- Ton frère a raison, déclara son père. Crois-moi, s'ils le pouvaient, ils tueraient tous les hommes et prendraient nos femmes. - Pierre..., grinça sa femme entre ses dents. Mais ce dernier l'ignora. - Elle est assez grande pour entendre la vérité sur notre monde Marie. Cesse de la protéger comme si elle avait encore huit ans. C'est la guerre, bon Dieu ! Il pointa sa fourchette en direction d'Esther. - Ecoute-moi bien ma petite fille : ne te fie pas aux apparences. Ils nous ressemblent peut-être, mais ce ne sont pas des êtres humains. Et si certains peuvent te sembler amicaux ou inoffensifs, garde bien en tête qu'ils nous haïssent. - Toi aussi, tu les hais, lui fit remarquer sa fille. - Oui, concéda son père. Mais le fait est, que je suis ici, chez moi ; Je n'embête personne. Je ne demande rien à personne. Et eux ? Que font-ils ? Ou sont-ils ? Chez nous. Ce sont eux, les envahisseurs. Il se reconcentra sur sa soupe, non sans jeter quelques regards sévères vers sa fille. - Pourquoi ce soudain revirement ? demanda-t-il. - Pour rien, menti Esther. Pierre et François se remirent à critiquer les Allemands. Esther resta silencieuse tout comme sa mère. Puis, elle se rappela les biscuits de Madeleine. - Tiens, dit-elle à François en lui tendant la boîte. - TU me fais un cadeau ? demanda-t-il, méfiant. - Moi ? Sûrement pas ! C'est de la part de Madeleine. Ce sont des biscuits. - Oh ! Chic ! Je commençais à en avoir marre de la soupe !- François ! le disputa sa sœur. Maman fait ce qu'elle peut. Comme toi et papa avec les poissons !Son frère ouvrit la boîte avec impatience. Elle contenait cinq biscuits sablés. - Miam, dit François. - On a le droit d'en prendre un ? se risqua Pierre. Son fils lui tendit la boîte. Il se servit. Marie et Esther eurent également le droit d'en goûter un. - Le cinquième sera pour moi, vu que c'est mon cadeau, affirma François d'un air malicieux. Il croqua à pleine dent dans le biscuit. Esther fit de même. Le gâteau avait un petit arrière-goût d'orange. Un délice. - Au fait, reprit François plus sérieusement, pourquoi Madeleine m'offre des biscuits ? - A ton avis, nigaud ? soupira Esther. Tu réfléchis parfois ? - C'est ce que font les femmes quand elles veulent plaire, expliqua Pierre à son fils. Il lui fit un clin d'œil. Esther était dubitative. Elle savait que le jour où elle voudrait plaire à quelqu'un, elle n'userait pas de ses médiocres dons culinaires pour le séduire. On dit que le véritable chemin pour toucher le cœur d'un homme passe par son estomac. Elle espérait qu'elle tomberait sur quelqu'un qui aurait un dysfonctionnement de ses papilles gustatives ou qui ne souffrirait pas d'une tendance à la gourmandise. Qui plus est, la nourriture n'évoquait rien de séduisant, d'attirant ou de désirable à ses yeux. Cela dit, elle ignorait ce qu'elle ferait pour plaire à un homme. Elle n'y avait jamais vraiment pensé. En tout cas, elle ne lui ferait pas de biscuits ! Anne, elle, savait comment s'y prendre mais or de question de lui demander ! Sinon, elle n'arrêterait pas de la harceler pour qu'elle sorte avec quelqu'un. Avec Anne, une simple conversation pouvait se transformer en un effrayant cours de séduction. Non merci. - En parlant de cadeau, intervint Marie, il faudra que tu me dises ce dont tu as envi Esther. Ton anniversaire est dans deux semaines.La jeune fille avait complètement oublié ce détail. Le 3 mai, elle aurait dix-huit ans et serait officiellement majeure. En toute honnêteté, cela lui passait bien au-dessus de la tête. Après les évènements de ces dernières semaines, célébrer son anniversaire lui semblait risible. De toute façon, qu'elle ait dix-huit ou pas, la vie allait poursuivre son inébranlable rythme. Elle serait toujours chez ses parents. Elle serait toujours la même dans deux semaines, ou dans deux mois ou dans deux ans. Rien ne changerait. Après un repas qui s'était terminé sur une délicieuse note sucrée, Esther monta dans sa chambre, trop heureuse de retrouver son lit. Elle était exténuée. Elle s'écroula sur celui-ci en étoile de mer et sombra aussitôt dans les bras de Morphée. Elle dormit d'un sommeil sans rêve. Elle n'avait pas dormi aussi bien depuis longtemps.  


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