Chapitre 3

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Le lendemain, lorsqu'Esther se réveilla, il était 6H. Elle s'habilla à toute vitesse et décida de sauter le petit-déjeuner. Ca lui arrivait de plus en plus souvent maintenant. Sa mère avait vraiment du mal à leur trouver à manger alors sauter un repas ne la tuerait pas. Et puis si cela pouvait permettre d'économiser un peu leurs réserves, ça en valait la peine. Par ailleurs, la jeune fille était pressée de retrouver ses amies. On était samedi et le groupe s'était donné rendez-vous pour reparler de leur coup. Esther devait à tout prix leur annoncer la nouvelle. Il fallait qu'elles saisissent cette opportunité ! Elle prit son cartable, dévala l'escalier et enfila son manteau.

-        Déjà debout ? Demanda doucement sa mère.

Elle était assise à la table de la cuisine, en train de recoudre un bouton de chemise. Une bougie tout prêt d'elle pour l'éclairer. La petite flamme faisait scintiller ses yeux bleus pleins de tendresse.

-        Oui. Je vais chez Madeleine. Anne nous rejoint, on a un exposé à faire.

Esther se mordit la lèvre. Elle détestait mentir à sa mère. Mon dieu qu'il était difficile de la regarder droit dans les yeux en lui disant cela.

-         Et toi ? Qu'est-ce que tu fais là aussi tôt ?

-        Je n'arrivais pas à dormir. Je ne voulais pas réveiller ton père, il est mort de fatigue. Et puis je me suis dit que je pouvais en profiter pour recoudre ça.

-        C'est à qui ?

-        A Nicole. Elle me l'a demandé hier. Ses yeux commencent à flancher. Elle n'arrive plus à mettre le file dans l'aiguille.

Sa mère se retourna vers la fenêtre.

-        Je n'avais même pas remarqué qu'il faisait jour.

Elle souffla doucement sur la flamme vacillante qui disparut dans un souffle.

-        Au fait, tu ne manges pas ?

-        Non, je vais me passer de petit-déjeuner.

-        Encore ? Mais tu vas finir par devenir maigre comme un clou ma chérie. Ce n'est pas raisonnable.

-        Ca va maman, ne t'inquiète pas. Et puis, ça m'aide à garder la ligne, plaisanta-t-elle en faisant un tour sur elle-même.

Marie sourit mais elle paraissait tout de même préoccupée.

-        Ne t'inquiète pas, répéta Esther dans un souffle en enroulant ses bras autour de son cou. Ce n'est pas ça qui va me tuer.

Elle lui planta un baiser sur la joue et sa mère serra ses mains dans les siennes.

-        Tu rentres quand ?

-        Avant midi.

-        Sois prudente ma puce.

-        Oui ma p'tite maman.

Sur ce, Esther lui planta un deuxième baiser sur l'autre joue et desserra son étreinte. Puis elle sourit à sa mère et sortie de la maison.

Il faisait frais mais le ciel était dégagé. Le soleil ne tarderait pas à se montrer. Ce serait une belle journée. Esther prit la bicyclette appuyée contre la façade de pierre, ouvrit le portillon et se mit en route. Elle descendit la rue doucement. Tout était calme. Il n'y avait pas un chat. Elle bifurqua dans une petite ruelle pavée pour prendre un raccourcis puis déboucha en un rien de temps sur la place de l'Eglise. Elle dépassa le bâtiment et poursuivit son chemin, roulant toujours dos au port. Le vent lui fouettait le visage et faisait voler ses cheveux qu'elle devait sans arrêt rejeter en arrière. Sur le chemin, elle croisa une patrouille d'allemands. Ils devaient être une vingtaine. Elle pesta intérieurement. Elle passa le plus loin possible d'eux et les ignora superbement. Elle sentit cependant que quelques-uns d'entre eux la fixaient. Un certain agacement s'immisça en elle. Esther aurait voulu tous les baffer. Elle n'avait pas envie qu'ils la regardent. La jeune fille les dépassa et se dirigea vers la sortie du village, là où les maisons se faisaient de plus en plus rares, jusqu'à ce que finalement, elle atteigne la route départementale et le panneau indiquant la sortie de Rochefort-sur-Mer. Là, elle s'arrêta, escalada le fossé, bordé d'arbres et une fois de l'autre côté, s'enfonça un peu plus dans une épaisse forêt en tirant sa bicyclette à son côté. Après quelques minutes de marche, elle arriva près d'un vieil arbre recouvert de lierre. Elle dissimula son vélo dessous et poursuivi son chemin en s'enfonçant un peu plus dans les bois. Puis elle finit par déboucher sur une petite clairière. A quelques dizaine de mètres se trouvait une vieille maison en pierre, laissée à l'abandon, dont les vitres à moitié cassées, étaient grises de poussières. La porte en bois délavée était presque détachée du mur et la toiture était presque entièrement partie. Esther traversa un champs de bruyère avant de parvenir à la porte. Puis, selon un code bien précis elle toqua sur celle-ci : 5 petits coups successifs, puis un long, puis à nouveau 5 petits coups et ce, deux fois de suite. C'était le début de la mélodie de Au clair de la Lune. Une idée de Madeleine.

-        Entrez ! Annonça une voix à l'intérieur.

Esther s'exécuta avec hâte. Le vent dehors était glacial. Elle referma la vieille porte branlante derrière elle. Ils étaient déjà tous là : Madeleine tricotait paisiblement sur le canapé de cuir brun. Jean dessinait dans la poussière de la cheminée à l'aide d'un bâton et Paul était assis dans le fauteuil qui faisait face au canapé, Anne sur ses genoux. Cette dernière se retourna vers son amie :

-        On n'attendait plus que toi ma belle, dit Anne.

Esther ôta son manteau et son écharpe et les rejoignit avec entrain. Elle s'assit à côté de Madeleine et dit :

-        J'ai une grande nouvelle à vous partager ! Quelque chose de grandiose ! 

Tous se penchèrent vers elle et l'écoutèrent avec la plus grande attention. Il était rare qu'elle soit la première à ramener les potins. En général, Anne s'y collait. Mais qu'est-ce que c'était gratifiant d'être la seule à savoir.

-        Bon alors ? S'impatienta Paul. T'attends quoi ?

Esther savoura encore quelques instants l'expression d'agacement et d'impatience qu'elle lisait sur le visage de ses amis. Puis, elle ouvrit enfin la bouche :

-        Fischer va faire une annonce, ce vendredi, sur la place du village.

Ses amis restèrent muets et se regardèrent, perplexe. Jean se tourna vers Esther :

-        Excuse-moi Esther mais, en quoi c'est... « une grande nouvelle » ?

-        Ne me dites pas que vous ne pensez pas à la même chose que moi ? S'égosillât la jeune fille.

-        Tu veux qu'on leur fasse une farce ? Demanda Madeleine.

-        Ben oui, répondit Esther comme si c'était une réponse évidente. C'est une occasion en or.

-        Pas faux, conclu Paul. C'est vrai que ça pourrait être marrant. A quoi tu penses Esther ?

-        J'avoue que je ne sais pas trop. C'est pour ça que je voulais vous en parler. Est-ce que l'un de vous aurait une idée ?

Le groupe se plongea dans le silence pour méditer la question. Puis Jean fut le premier à faire une suggestion :

-        Des boules puantes ?

-        Déjà fait, répondit Paul du tac au tac.

-        En plus dehors, ça n'aura aucun effet, ajouta Madeleine.

Nouveau silence. Puis nouvelle suggestion, cette fois de la part de Anne :

-        On envoie un caleçon en plein dans la tête de Porcinet ?

-        Et tu veux le trouver où ton caleçon ? Demanda Esther.

-        Ben... Anne se tourna vers Paul et Jean. C'est le moment où l'on voit si vous êtes dédiés à la cause les garçons.

-        Tu rêves ! Répondit Jean.

-        Ma chérie, commença Paul, je t'adore mais parfois, tu es vraiment folle.

-        Mais c'est aussi ce que tu aimes chez moi, parce que ça fait partie de mon charme pas vrai ?

Paul bredouilla mais Madeleine l'interrompit :

-        Hé dites ! On va en faire quoi de la farine qu'on met de côté depuis des mois ? Il serait peut-être temps de l'utiliser. Esther, après tout, tu veux que ce soit mémorable non ?

Le regard d'Esther s'illumina. La farine.
Ils en avaient une grande réserve au fil des mois. Puisque les Allemands leur prenaient leur farine, le groupe avait décidé d'envoyer un message fort en la leur balançant à la figure. Le problème c'était qu'ils attendaient l'occasion idéale mais elle venait enfin de se présenter. Esther se trouva stupide de ne pas y avoir pensé avant. Elle attrapa Madeleine par les épaules et lui planta un gros bisou baveux sur la joue. La blondinette rit timidement.

-        Madeleine, tu es un géni !

Ils passèrent la matinée à réfléchir à la mise en place de leur canular, au rôle que chacun aurait, à l'installation, au stratagème... . Vers midi, ils avaient à peu près passé en revue tous les détails et se séparèrent, excités à l'idée de leur nouveau projet.

***

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