Chapitre 9

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La nuit est tombée sur Los Angeles, enveloppant la ville dans une obscurité humide et oppressante. Les lumières des gratte-ciels percent à peine le voile de la nuit, créant une ambiance lourde, presque suffocante. Après une journée de kinésithérapie longue et éprouvante, je me suis finalement dirigée vers ma chambre d'hôtel, fatiguée mais soulagée d'avoir eu un moment pour moi-même.

L'épuisement pèse sur mes épaules, et tout ce que je veux, c'est m'effondrer sur le lit et fermer les yeux. Mais à peine ai-je posé la tête sur l'oreiller que les ombres du passé commencent à se faufiler dans mon esprit. Je m'enfonce lentement dans un sommeil agité, sans m'en rendre compte. Le sommeil est loin d'être réparateur. Il m'engloutit, me ramenant des années en arrière, à un souvenir que j'ai toujours cherché à fuir.

Je me retrouve dans une maison familiale, celle de mon enfance, le décor est flou, comme à travers un voile de brouillard. L'air est épais, chargé de cette angoisse sourde qui précède les cauchemars. Je sens ma gorge se serrer, une peur irrationnelle s'empare de moi alors que je vois ma petite sœur, Lily, jouer au bord d'un étang près de chez nous, là où elle aimait tant aller. Elle est si jeune, ses boucles dorées dansant au vent, un sourire innocent sur son visage. Je la regarde, paralysée, une sensation d'horreur montante me submergeant.

Tout à coup, je la vois glisser, perdre l'équilibre, et avant que je ne puisse réagir, elle tombe dans l'eau sombre. Mon corps se met en mouvement, je cours, crie son nom, mais ma voix est étouffée, comme aspirée par l'air lourd autour de moi. Je me jette à genoux au bord de l'étang, plongeant mes mains dans l'eau glacée, mais elle est trop profonde, trop noire, et Lily disparaît sous la surface, ses petites mains se débattant une dernière fois avant que tout ne devienne silencieux.

Je reste là, figée, le souffle coupé, sentant une douleur perçante dans ma poitrine. Le monde autour de moi s'effondre, et je me réveille en sursaut, le cœur battant à tout rompre, les joues humides de larmes. La panique m'étreint encore, mes mains tremblent et j'ai du mal à respirer. Le souvenir de ce jour fatidique refait surface avec une brutalité insoutenable. La sensation de perdre à nouveau Lily est trop forte, trop réelle. Je ne peux plus rester ici, entre ces quatre murs qui semblent se refermer sur moi.

Sans réfléchir, je sors précipitamment de la chambre. L'air de l'hôtel est frais, contrastant avec la chaleur étouffante de la nuit à l'extérieur. Je marche rapidement dans le couloir, mes pieds nus foulant le sol moquetté, cherchant désespérément à échapper à l'étreinte du cauchemar. Mon esprit est encore en proie aux images de Lily, et chaque coin sombre du couloir semble cacher une nouvelle vision de son visage noyé.

J'ouvre une porte vers un balcon pour prendre l'air, espérant que l'air nocturne m'aidera à calmer cette tempête intérieure. La ville en contrebas est étrangement calme, les bruits lointains des voitures se mêlant au souffle du vent chaud. Je me penche sur la balustrade, essayant de respirer profondément, mais les larmes continuent de couler silencieusement, traçant des sillons sur mes joues.

Soudain, un mouvement dans l'ombre attire mon attention. Je sursaute et m'arrête net. Mes yeux peinent à s'adapter à la pénombre, mais je distingue une silhouette familière se tenant à une dizaine de mètres devant moi. Le cœur battant, je vois Maxime s'approcher, vêtu d'un simple t-shirt et d'un short de sport, il semble se diriger vers moi sans faire attention à ma présence.

Mon instinct me pousse à réagir. J'avance brusquement vers lui, déterminée à lui faire comprendre que sa présence ici n'est pas bienvenue.

— Grousset qu'est-ce que tu fais ici ? Tu m'as fait peur !

Il se tourne vers moi, les yeux écarquillés, un mélange de surprise et de confusion sur le visage. Sa réaction est lente, comme s'il peinait à comprendre pourquoi je réagis si violemment.

— Langlois?! Je... Je cherchais juste à me changer les idées, je ne voulais pas te faire peur.

Je détourne rapidement le regard, essayant de cacher mes larmes, mais il est déjà trop tard. Il se rapproche un peu plus, l'air plus sérieux maintenant, ses yeux fixant mon visage avec une attention nouvelle.

Je le lâche, encore tremblante, réalisant à quel point ma réaction a été excessive. Maxime a l'air sincèrement désorienté, mais je suis trop secouée pour rester calme.

Alice... tu pleures ?

Sa voix est plus douce, presque incrédule, comme s'il n'avait jamais envisagé cette possibilité. Je sens la chaleur monter à mes joues, non seulement à cause des larmes, mais aussi de l'embarras d'être vue dans un tel état par lui. Je secoue la tête, essayant de rassembler mes pensées, mais les mots ne viennent pas. Tout ce que je peux faire, c'est détourner le visage et essuyer maladroitement mes larmes d'un revers de main.

Maxime semble déstabilisé, ne sachant pas quoi dire. Pendant un instant, il reste silencieux, puis il s'approche encore, de manière hésitante, comme s'il marchait sur des œufs.

— Hé, je suis désolé si je t'ai blessé tout à l'heure... Je ne savais pas que... que ça allait si mal.

Sa voix a perdu toute trace de taquinerie, et il se tient là, les bras légèrement tendus, comme s'il voulait offrir du réconfort mais ne sait pas comment s'y prendre. L'ironie de la situation ne m'échappe pas : Maxime, toujours si sûr de lui, semble pour une fois incertain, vulnérable face à ma douleur.

Je prends une profonde inspiration, essayant de retrouver mon calme. Les images de Lily s'estompent lentement, remplacées par la réalité du moment présent. Je ne sais pas pourquoi, mais sa présence, si décalée par rapport à ce que je ressens, m'offre un étrange réconfort.

— Ce n'est pas toi, Maxime. C'est juste... la fatigue, la pression. J'ai fait un mauvais rêve, et ça m'a un peu chamboulée, dis-je finalement, ma voix tremblante mais honnête.

Il hoche lentement la tête, et sans un mot de plus, il s'appuie sur la balustrade à côté de moi, respectant mon besoin de silence. Ensemble, nous restons là, face à la ville endormie, chacun perdu dans ses pensées, mais étrangement connectés par ce moment inattendu de vulnérabilité partagée.

L'obscurité de la nuit enveloppe Los Angeles, et je sens la fraîcheur de l'air de l'hôtel me contraindre à une certaine clarté après la chaleur étouffante de la chambre. Maxime se tient à mes côtés, presque à une distance intime, mais il respecte soigneusement l'espace entre nous. Nos doigts effleurent la balustrade sans jamais se toucher, créant une tension subtile et palpable.

Les minutes passent lentement, et le silence du balcon est seulement brisé par les sons lointains de la ville. Les larmes qui coulaient encore sur mes joues ont fini par sécher, laissant une trace résiduelle. Maxime se tient là, immobile, fixant l'horizon où les lumières de Los Angeles se mélangent avec le ciel nocturne.

Il semble comprendre que ce dont j'ai besoin, c'est de silence, pas de paroles. Sa présence, bien que totalement inattendue, m'apporte une forme de réconfort que je n'aurais pas anticipé. Peu à peu, le souvenir douloureux de Lily commence à s'évanouir, remplacé par une étrange sensation de calme. Ensemble, nous restons là, face à la ville endormie, chacun plongé dans ses propres pensées, mais liés par ce moment inattendu et partagé de vulnérabilité.

Au bord du bassin - Maxime GroussetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant