Oxygène

Chapitre 15

VITO

– Pas de souci, ce sera fait avant que tu rentres. À ce soir papa.

Je raccroche et dépose mon téléphone sur l'îlot central de la cuisine. Puis, je reprends la cuillère en bois pour mélanger les pâtes qui cuisent.

– Ne me dis pas que tu fais encore des pâtes Vito ! balance Alessio en entrant dans la cuisine, essoufflé et dégoulinant de sueur.

– Ne me dis pas que tu ne vas pas te laver avant de manger ! le contré-je.

– Tu prépares tes spaghettis à quoi ce midi ? Ketchup, sauce tomate, crème fraîche ?

– Pesto. D'ailleurs, tu peux sortir le pot du frigo s'il te plaît.

Alessio marmonne mais fait ce que je lui demande.

– Si tu n'es pas content, tu n'as qu'à te faire à bouffer toi-même, grogné-je.

– Holà les têtes de cul, s'écrie ma sœur en nous rejoignant.

Elle regarde ce qu'il y a dans la casserole et grimace quand elle visualise le magnifique dîner gastronomique que je prépare. Des pâtes.

– Vito, il va falloir que je t'apprenne à faire à manger parce que tu fais toujours la même chose, s'exaspère-t-elle en levant les yeux au ciel.

– Estimons-nous heureux, il a changé d'accompagnement cette fois-ci, surenchérit mon sale traître d'ami.

– Pardonnez-moi d'avoir autre chose à foutre de mes journées que de mater des émissions culinaires, dis-je d'un air agacé. Et puis, Alessio, tu es culotté de me faire la remarque alors qu'on a le droit à des sandwichs quand c'est à toi de faire à manger.

– Trahison ! s'exclame Alessio en mettant la main sur son cœur.

– Disgrâce ! chantonne Camila pour compléter les paroles d'une musique du Roi Lion, son dessin animé préféré.

– Arrêtez de faire les débiles, je viens d'avoir Tobias au téléphone, dis-je pour changer de sujet.

– Et ? Tu lui as fait part de ma proposition d'hier soir ? demande ma sœur.

Je confirme d'un signe de tête.

– Camila m'en a touché trois mots ce matin, précise Alessio. Je suppose que Tobias a donné son accord pour que cette salope accède à sa chambre.

– Je t'interdis d'insulter Louisa, déclare-t-elle en tenant notre frère par le menton. C'est clair ?

Alessio attrape la main de Camila par le poignet pour qu'elle relâche sa prise tout en restant silencieux.

Le don qu'a Camila pour le remettre à sa place m'épate. Ce n'est pas tant l'insulte qui vient de l'énerver, mais plutôt la haine ressentie lorsqu'il l'a prononcée.

L'objectif est de mettre Louisa en confiance pour qu'elle nous aide. Nous avons clairement l'intention de la manipuler pour parvenir à nos fins.

Toutefois, si mon ami agit de la sorte en sa présence, il risque de tout faire capoter.

– Et va te laver avant de manger Alessio, tu sens le poney, ajoute ma sœur en se pinçant le nez.

– Dit-elle alors qu'elle revient du centre équestre. C'est l'hôpital qui se fout de la charité, se moque Alessio.

Comme si de rien n'était, Camila saute sur son dos et agite ses jambes pour faire avancer son faux cheval. Ce dernier se met à glousser à cause de la stupidité de la situation. Lunatique, il est devenu lunatique.

– Hue Canabiss ! Direction la salle de bains ! proclame-t-elle comme une gamine de cinq ans.

Ma sœur a réussi en un temps record à détourner l'attention d'Alessio et à le reconnecter à lui. Ce lien indestructible qui existe entre les deux y est sûrement pour quelque chose. Sans elle et son gros caractère, il y a un nombre incalculable de fois où je n'aurais pas été capable de gérer la situation et chasser ses démons.

Les deux cinglés partent se laver, séparément, je tiens à le préciser, tandis que mon humeur massacrante réapparaît.

En me donnant le feu vert pour déplacer Louisa dans sa nouvelle chambre avant qu'il ne rentre, mon père ne se doute pas qu'il s'agit d'une mission à haut risque.
Je n'ai aucune intention de lui faire du mal, mais je la hais pour ce qu'elle me fait ressentir.

Pour éviter toute pensée déviante, je compte bien réaliser cette tâche le plus rapidement possible : je vais la chercher, je la jette dans sa chambre et je ferme la porte à clefs. Ensuite, Camila se chargera du reste.

C'est la première fois que tu délègues aussi facilement les tâches à ta sœur. Tu deviens fou, ce n'est pas possible autrement !

Oui, elle me rend fou, et je n'aime pas ça. Je déteste ne pas avoir le contrôle.

***

Après le déjeuner, Camila et Alessio m'informent qu'ils vont passer l'après-midi en ville. Malgré leur insistance, je refuse de les accompagner en leur rappelant qu'ils doivent être rentrés avant le retour de Tobias.

Je n'ai absolument aucune envie de me balader dans les rues de Malaga, un cornet de glace dans la main gauche et des dizaines de paquets remplis de vêtements dans celle de droite. Je leur promets de venir à la prochaine « journée banale pour des gens normaux » comme ma sœur l'appelle.

En effet, depuis que je suis devenu le bras droit de mon père à dix-huit ans, ma vie ne consiste qu'à gérer les activités illégales de notre gang. Je ne suis pas comme tous les hommes de mon âge.

Tandis que leur journée type consiste à se lever, bosser, s'occuper des gosses et aller se coucher, la mienne se résume à négocier, manipuler, tuer et baiser.

Camila a donc instauré, depuis plusieurs années, une journée par mois au cours de laquelle nous devons faire des choses dites « normales », à savoir aller au cinéma, faire les magasins, boire un verre en terrasse ou encore se rendre à la plage.
Je déteste ces journées, ma sœur pense que je les adore.

Quel est l'intérêt de se mettre dans la peau de gens normaux alors que nous sommes loin de l'être ?

Aujourd'hui, j'ai préféré accepter deux journées au lieu d'une le mois prochain pour ne pas les accompagner cet après-midi.
Pourquoi ?
Parce que je dois gérer à distance le transport d'une cargaison d'armes qui a pris du retard, je dois fixer un rendez-vous avec un gang croate qui souhaite faire affaire avec nous et j'ai une blonde à amener dans sa chambre.

Parmi les trois missions du jour, c'est la dernière que j'appréhende le plus. Je décide donc de me pencher d'abord sur les deux premières.

Deux heures plus tard, je branche mon téléphone car ce dernier n'a plus de batterie après avoir passé mon temps en ligne. Le moment fatidique est arrivé, il est l'heure pour moi d'aller la chercher.