𝟔 - 𝐂𝐨𝐧𝐯𝐚𝐢𝐧𝐜𝐫𝐞 𝐞𝐭 𝐩𝐞𝐫𝐬𝐮𝐚𝐝𝐞𝐫

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🎶Breakin' Dishes - Rihanna🎶

" MATIGNON est vide à cette heure, mais l'Élysée vit toujours.

Animé par son bruit, ses employés, le son des portes qui claquent, s'ouvrent et se referment.

Moi, je fais taper le talon de mes chaussures sur le sol en tournant dans la pièce, à la recherche d'une solution à mon problème.
Je suis seul, seul dans cette pièce pourtant remplie par la masse de mon impatience.

Le Président ne devrait plus tarder.

- Excuse-moi Gabriel. La porte s'ouvrait laissant entrer l'homme au pas pressé, ce dernier avec un rictus au coin des lèvres et la main levée semblant faire le non-coupable.

- Aucun problème. Affirmais-je d'un ton solennel bien que quelque peu anxieux.

J'avais arrêté de me mouvoir dans la pièce dès l'instant où il y était entré.
Quelque chose dans son arrivée me rendait immobile. Une envie de me tenir droit, de paraître sous mon meilleur jour devant lui.

- "Aucun problème" mais tu souhaitais tout de même me voir au plus vite ? Il s'appuya le bas du dos contre son bureau, levant un sourcil au passage.

Évidemment, le tout n'était pas de demander une entrevue avec le Président, c'était également de signifier la raison de ce rendez-vous que j'avais qualifié de si urgent.
Et comment dire la vérité sans tout avouer ou tout avouer sans dire la vérité ?
C'était l'éternelle question.

Il fallait trouver un stratagème, contourner subtilement la question.
Mais était-ce vraiment possible face à quelqu'un dont le regard sur le grand monde était plus perçant que n'importe qui ?

- Un problème... c'est assez dramatique comme façon de dire les choses. Avais-je commencé la parade.

C'était un mensonge en trois étapes.
L'introduction, le développement et la conclusion, elles-mêmes contenants des sous-catégories.

- Je ne dirait pas qu'il s'agit d'un problème en soi. Simplement d'une requête. Une demande que j'ai à vous exprimer, concernant la réception de demain.

Il observait le début de ce monologue avec attention, semblant s'amuser de la curieuse danse verbale qui se jouait face à lui.

- Je pense, au vu des échos qui circulent en ce moment, qu'il serait préférable de désinviter les membres du Rassemblement National du dîner de demain soir.

Il hocha la tête, m'incitant à poursuivre.

- Ces gens-là ne partagent pas nos valeurs et nous prônons une politique contraire à la leur. Nous afficher à leurs côtés pourrait être mal interprété par les autres partis, et je ne vous dis pas si cela venait à se savoir et que la presse s'en emparerait...

J'étais entré dans la période de développement. L'énonciation de mes arguments, avec preuves.

- Certains de leurs membres auraient eu des propos disons... controversés. Je pense qu'il est mieux d'annuler l'invitation.

Cette phrase sonnait la demande finale de cet oral que j'avais réussi haut la main, mais savoir bien parler n'allait pas suffire à cet homme que j'allais devoir convaincre.
Je dirais même persuader.

- Monsieur Bardella à déjà répondu à notre invitation, en positif, tu t'en doutes bien, il est délicat de lui dire d'annuler, il a certainement déjà du changer son emploi du temps pour l'occasion.

- J'en ai conscience, malgré tout, vous êtes le Président de la République, vous pouvez vous permettre le loisir de décommander sa venue.

Il pouffa. Bien sûr, il le savait très bien.
Il avait déjà fait bien pire que cela en sept ans de mandat, et ce n'était pas le jeune président du RN qui allait lui faire douter de sa manière politiquement incorrecte d'agir.

- Tu marques un point. Mais le Rassemblement National n'est pas le seul parti aux idées à l'opposées des nôtres à être invités. Ce dîner est une question de courtoisie, je ne souhaite pas faire d'alliance avec eux.

Il avait raison.
Une chose était sûre, j'étais fort en débat, mais il l'était encore plus que moi.

Pas étonnant d'avoir fini élu à deux reprises aux présidentielles.

- J'en ai conscience, mais reconnaissez que ce parti fait plus polémique que les autres.

- Pas vraiment à vrai dire. Reconquête à fait jaser ces derniers temps. Ils sont peut-être même encore plus extrémistes, leur venue ne te gêne pas ?

Pourquoi devrait-elle me gêner ?

Je me suis mordu la lèvre pour me faire taire et réfléchir à mes propos avant de parler, mais mon interlocuteur me devança.

- Si cela t'inquiète que Bardella vienne avec des personnalités ayant été vecteur de Bad Buzz, je te rassure, il a assuré qu'il viendrait seul.

- Sans Marine Le Pen ? Je me précipitais de demander, complètement sous le choc.

- Oui, parfaitement seul. Il me sourit.

Nous pensions à la même chose à cet instant ce qui nous poussa à échanger un regard complice et entendu.

Je n'étais pas son Premier Ministre pour rien.
S'il était l'homme qui avait le regard le plus perçants sur le Grand Monde, je devais probablement être le second en cet instant.

N'était-ce pas ça, le rôle du Premier Ministre ?

- Gabriel, Reprit-il. Je ne sais pas exactement pour quelle raison tu ne souhaites pas recevoir Jordan Bardella, et bien que ce ne soit pas dans mes habitudes, je choisis de ne pas m'en remettre à ton jugement. Fautes de preuves et d'arguments, tu t'en doutes.

Je soupirais lourdement.
Ma mission avait échoué.
"Fautes de preuves et d'arguments"
Qu'est-ce que je pouvais bien lui dire ?

La vérité ? Impossible.

Je connaissais suffisamment Emmanuel pour savoir qu'il n'irait pas ébruiter l'accrochage remontant à la dernière année - ne serait-ce que pour sa propre réputation-.
Cependant, devoir lui avouer un tel secret, quand bien même il me pesait tant sur la conscience, c'était une chose impensable.

C'était même au dessus de mes forces.

Je l'estimais trop, et j'estimais trop notre relation de pur professionnalisme pour avoir le cran de lui avouer mon échec lamentable datant d'il y'a quelques mois.

J'avais faillit à mon rôle.
Mon rôle d'opposant.
Il était hors de question qu'il en ai vent.

Résolu par cette défaite, j'observais l''homme se diriger en direction de l'unes des deux sortis de son bureau, sûrement dans l'objectif de quitter son salon doré.

Mais il se retourna une dernière fois.

- Pour éviter Bardella, tu n'auras qu'à saluer les premiers arrivés, puis à passer par la porte arrière de la salle de réception dès que tout le monde aura le dos tourné. Elle mène à l'extérieur, tu pourras t'y retrouver seul.

Puis il partit comme il était venu, de son même pas pressé et de ce rictus si traditionnel qui n'avait pas semblé le quitter depuis son élection en 2017."

Au delà du réel -2- [BARDATTAL]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant