𝟖 - 𝐒𝐨𝐮𝐯𝐞𝐧𝐢𝐫𝐬

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🎶 A Pearl - Mitski 🎶

" QUE c'est long de se retrouver seul.

Mon appartement paraissait sombre, ce début d'année était couvert, assez pour faire disparaître les rayons du soleil derrière les nuages.

La fenêtre de ma chambre est entrouverte, juste de quoi laisser entrer la légère brise et le son de la pluie.

C'était un levé de soleil duquel on ne pouvait pas distinguer les nuances orangées. Juste du gris de toute part.

C'est un peu paradoxal, non ?

Le début d'année c'est un renouveau, un recommencement, mais la météo n'a pas changé depuis la fin de l'été dernier.
Nous ne sommes qu'au mois de mai, l'hiver a laissé sa place au printemps depuis longtemps, mais aucun signe des beaux jours.

Tout est gris, comme les costumes que je porte, comme la déco de mon appartement, comme la fumée qui s'échappe de ma cigarette électronique.

D'ailleurs je n'aime pas la regarder.

Elle a cette apparence métallique, sérieuse, presque austère.
Mais ce n'est pas tant son physique qui me dérange.

Le problème c'est qu'à chaque fois que je pose mes yeux dessus, je me rappelle que sans lui, je posséderai encore mon ancienne vapoteuse.
Non pas qu'elle me manque - je ne tenais pas d'affect particulier à cet objet - c'est simplement que, quand bien même je voulais l'effacer de ma mémoire, brouiller son visage de mes souvenirs, il était toujours là, quelque part, témoignant de sa présence matérielle tout autour de moi.

Mon ordinateur était devenu source de malaise également.

Peut-être même encore pire.

Cœur de tous mes tourments.
L'objet qu'il m'était devenu impossible de voir sans avoir les yeux humides.

J'ai donc été contraint de m'en séparer début septembre. À vrai dire, j'avais confié la responsabilité à l'une de mes sœurs de s'en occuper et de me débarrasser de ce tourmenteur.

Dorénavant, trainait sur mon bureau un ordinateur flambant neuf, rayonnant de son étincelant métal.
Il m'avait coûté cher, c'était un des derniers modèles d'une grande marque.

Mais depuis le jour où je l'avais allumé pour la première fois, afin de m'assurer qu'il n'y avait aucun défauts notables, je n'y avait plus touché.
Il restait comme un élément du décor, posé dans ma chambre, servant de remplaçant à mon ancienne épave chargée de souvenirs.

Ici, une machine impersonnelle que je n'avais pas le cœur d'utiliser, qui ressemblait en tout point à celui qui m'attendait à Matignon.
Un outil de travail supplémentaire qui avait perdu toute dimension d'attachement, qui était venu effacer une partie de moi, de ma vie.

Mais cette tentative était vaine.

Je tentais de camoufler des mois de mon existence par des stratagèmes superflus, mais ce n'était pas mon ordinateur ou bien ma cigarette le problème, c'était simplement le fait que ce soit arrivé.

Mon appartement, chaque objet, mon cerveau, moi.
Tout était encore fraîchement ancré, comme si les événements dataient de la veille.

Comme un cauchemar qui nous réveille en sursaut et qui reste toute la journée en tête, nous faisant ruminer sur sa signification, ses sens cachés.

C'était pareil, à la différence que la durée de vingt-quatre heures se transformait en neuf mois.

Neuf mois à ruminer un cauchemar.
Neuf mois à chercher un sens.
Neuf mois à penser à lui.
Neuf mois à essayer de me remettre sur pied du mieux que je le pouvais.

Je regardais l'heure.
Il est à peu près six heure du matin.
Je n'ai pas dormi.

Je repense à hier, enfin, à la nuit qui précédait mon insomnie...

- Donnez moi une seule raison. Une seule. Même la plus infime et ridicule, je veux seulement une raison pour me convaincre de partir de cet endroit et de retourner dans la salle de réception. Je vous jure que, qu'importe votre justification, je partirais si tel est votre véritable souhait.

Tout se bouscule dans ma tête, une cascade de souvenirs, un déferlement de sentiments. De la drôle de nostalgie.
Mais je ne pouvais pas céder.
Je ne devais pas céder.
C'était vital.

Si je ne résistais pas, c'est moi qui allais, encore, en pâtir.
Il fallait qu'il parte, et loin.
Loin de moi, très loin, dans un endroit où il ne pourrait pas - plus - me faire de mal.

Il ne me laissait pas m'enfuir, alors j'allais devoir le chasser de moi-même.
Stéphane avait raison, la fuite, c'est la meilleure solution.
Il faut fuir, partir loin avant que le cercle ne recommence.
Avant que ces derniers mois ne recommencent.

- La raison me paraît, à moi, pourtant bien clair. Je prenais la voix la plus froide que mes cordes vocales pouvaient m'accorder.

J'avais mal. Mal de prononcer ces mots.
Mal de voir son expression devenir si sombre. Mal d'imaginer la douleur que pouvait provoquer mes mots.

Mais je n'y pouvais rien.

Si je ne voulais pas être celui blessé de nouveau, j'allais devoir être celui qui blesse.

Je ne le laisserai plus me prendre la main.

- Vous et moi ne sommes rien. Rien de plus que deux inconnus. Rien. Alors non, je ne veux pas que vous restiez, non, je ne veux pas discuter, non, je ne veux passer la soirée à vos côtés. Je veux que vous partiez, Monsieur.

Je dégageais brutalement ma main de son emprise. Ses paumes étaient chaudes, brûlantes.

Est-ce que sa peau était toujours comme ça ? Elle l'était, je crois.
Du moins, dans mes souvenirs.

Pour chance, il tenu parole.
C'était bien au moins une - des rares - qualité qu'il possédait.

Je le voyais s'éloigner, son ombre disparaissait lentement dans le décor.
Je restais planté dans les jardins de l'Élysée, entre le sol d'herbes et de cailloux, les arbres, les fleurs.
Je le voyais avancer jusqu'au palais.
Le ciel s'était assombri, on n'y voyait - presque - plus clair.
Mais j'arrivais malgré tout à distinguer sa silhouette à plusieurs mètres, parce que je n'arrivais simplement pas à détacher mes yeux de lui.
De son dos. De ses épaules.
De la naissance de ses cheveux courts dans sa nuque.
Et puis il y avait toujours la chaleur qui ne voulait pas s'évaporer au centre de ma paume et se propageait jusque dans mes doigts...

Les rayons du soleil finirent par tristement percés certains nuages.
Tristement parce qu'ils n'étaient pas assez forts pour venir m'éclairer directement.

Ni moi, ni lui.

Je tournais les yeux en sa direction, son corps nu étendu sous la couverture de mon lit.

La raison de mon insomnie.

C'était encore trop tôt pour le réveiller, je n'étais pas cruel pour le sortir de mon appartement alors que le soleil n'était même pas encore totalement levé.

Je voyais la peau de son épaule frissonner légèrement. Je me suis penché pour y déposer un baiser délicat, sans l'intention de le gêner dans son sommeil, et j'ai replacé la couette un peu plus haut sur lui.

Les jours étaient toujours couverts en ce mois de mai, je ne voulais pas qu'il attrape froid."

Au delà du réel -2- [BARDATTAL]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant