Lettre 24

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Paris, prison de la Santé, le 7 octobre 1994

Ma Rose,

Je déteste être à l'origine d'ennuis pour toi. Je comprendrais très bien que tu ne veuilles plus m'écrire. Surtout, ne t'inquiète pas pour moi.

Ne t'inquiète pas non plus des lignes qui vont suivre. Je vais bien, mais disons que les deux derniers jours ont été durs pour moi aussi. Je suis à l'infirmerie de la prison.

Tu sais, ici, les emplois du temps sont très routiniers. Le matin, tout le monde est debout à six heures, puis c'est la douche, l'atelier pour moi, le travail. On fabrique des armatures en acier en ce moment, je ne sais même pas à quoi elles servent. D'autres travaillent à la buanderie ou à la cantine, bref. Ensuite, vers 11h, c'est la promenade, le seul moment où il est permis de voir le ciel. Mais entourés de grillages. On reste dehors pour 45 minutes. On en est dispensés les jours de froid ou de pluie, mais tout le monde y va quand même, c'est trop précieux. Avant-hier donc, j'étais à la promenade, je discutais avec un détenu, Loïc, un type bien. Il a fraudé son assurance (mais pour une très grosse somme), il purge un an, il va bientôt sortir. On parlait tranquillement et j'ai vu venir à nous comme un bulldozer, un nouveau détenu, Patrice (mais tout le monde l'appelle Pat'). Une armoire à glaces. Je ne lui avais pas encore parlé, mais je savais pourquoi il était là. Il faisait partie d'une bande criminelle assez dangereuse. Il a tué (au moins) deux personnes, des malfrats aussi. Mais c'était il y a une quinzaine d'années. Il termine sa peine ici, il a été transféré. Peu importe, il était suivi de près par « Jeannot », une petite fouine toujours dans les mauvais coups. Ils se sont avancés vers moi, ils n'ont rien dit, Pat' m'a pris par le cou avec une force surhumaine et il m'a trainé dans un recoin de la cour, là où les gardiens ne pouvaient pas nous voir. Jeannot me tordait le bras en même temps. Une fois hors de vue, Pat' a sorti une sorte de couteau qu'il avait bricolé avec un morceau d'acier, il me l'a enfoncé dans la gorge, juste assez pour que je sente le sang couler le long de mon cou. Il voulait savoir où était l'argent, les vingt millions. J'avais beau lui dire que je ne les avais pas, il ne voulait rien entendre et il enfonçait un peu plus son couteau. Et puis, il l'a donné le couteau à Jeannot qui l'a maintenu contre mon cou, Pat' a sorti un coup de poing américain (c'est une sorte de barre en acier qui se passe entre les doigts et qui permet d'amocher plus sûrement l'adversaire). Il m'a martelé les côtes et le visage. Il me hurlait de lui dire où j'avais caché l'argent. « Allez, l'écrivain, balance le fric ! », il hurlait. Avec Jeannot derrière qui répétait ça aussi.

Heureusement, Loïc avait déguerpi quand ils sont arrivés et il était parti chercher les gardiens. J'ai vu Jacques et Christian, deux gardiens costauds qui m'aiment bien, accourir. Je me suis évanoui à ce moment-là, mais on m'a raconté qu'ils se sont un peu battus. Évidemment, Pat' et Jeannot sont au mitard pour quelques temps. Moi, je me suis réveillé à l'infirmerie, bien amoché. Mais le médecin m'a dit que ça irait très bien, je ne garderai pas de traces. Juste une petite cicatrice sur le cou.

Au moins, ça me change un peu d'air ici, le décor est moins austère et les infirmières sont gentilles. Je devrais rester trois semaines.

Heureusement que tu es dans ma vie, j'ai quelqu'un à qui penser.

Je t'embrasse fort,

Marc

Cher MarcOù les histoires vivent. Découvrez maintenant