Lettre 11

2 0 0
                                    


Paris, prison de la Santé, le 12 aout 1994

Ma chère Rose,

Vous voyez, c'est merveilleux les rencontres, surtout épistolaires. On apprend un peu plus de l'autre et sur l'autre au fur et à mesure de la correspondance. Vous avez donc une fille ! C'est merveilleux. J'ignore ce qui vous a séparées, mais je suis sûr que les choses s'arrangeront. Dame ! (Je vais m'en servir à présent, ces mots-là sont précieux, précisément parce qu'ils paraissent inutiles. Rien n'est plus indispensable que l'inutile)

Vous pouvez oublier tout ce que vous avez lu sur moi dans les journaux, le vrai y côtoie trop le faux. Mais je me souviens très bien de ce reportage photo. C'était pour Paris Match. Les clichés étaient effectivement très beaux, très doux, avec juste ce qu'il faut de retouches de couleurs et de stylisation.

C'est un grand malheur que de perdre l'affection de son enfant. Mais dans mon cas, je le comprends très bien. J'étais un père absent, toujours en voyage, je ne le voyais qu'une fois par mois. Il ne s'en est jamais plaint, d'ailleurs, il me comprenait, je crois. Mais bien sûr, il n'a pas accepté ce que j'ai fait, il n'a pas réussi à me le pardonner. Il n'a pas assisté au procès et je n'ai plus jamais eu de nouvelles depuis. Je lui ai envoyé quelques lettres, mais elles sont restées sans réponse. Je retenterai de le contacter à ma sortie, on ne sait jamais.

Comment pourrais-je lui en vouloir ? Moi-même, je ne suis pas sûr de me pardonner. Ni même d'avoir toujours envie de me voir ! Mais je suis coincé avec moi. Et ici. Me restent la philosophie et la littérature, bien sûr. J'ai avancé durant toutes ces années. Six ans en cage, ce n'est pas rien. Parfois l'isolement plonge dans la folie, mais parfois il aide à la réflexion et à la méditation. Je pratique un peu, la méditation. L'exercice m'apaise.

J'espère bien que nous irons boire un café, ma chère Rose ! A Paris ou à Châtel, nous verrons. Et je vous dédicacerai mon nouveau roman, si je retrouve un éditeur... Ou j'appellerai mon héroïne Rose ! C'est ainsi que je procède, comme je vous l'ai dit dans une lettre précédente, je crois. Mes personnages n'ont pas de nom quand je conçois l'histoire et au moment d'écrire pour la première fois leur patronyme, soit j'ouvre le dictionnaire des noms propres, soit je pense à des amis qui pourraient leur correspondre, pour un personnage positif ou à des gens que je n'aime pas pour les autres ! Bien sûr, ensuite, il faut que le prénom corresponde plus ou moins à l'époque et à la situation sociale. Voilà, vous avez mes secrets de fabrication.

En ce qui concerne une éventuelle visite, dans un premier mouvement, j'ai eu envie de refuser tout net. Je n'ai pas tellement envie que notre première rencontre ait lieu dans ces conditions. Mais en y réfléchissant, je me suis dit qu'après tout, cette belle amitié a commencé ici et, si vous en avez envie, je ne m'y oppose pas. C'est tout à fait autorisé par l'administration. Réfléchissez-y bien, cela dit. Ce n'est pas un endroit très fréquentable, c'est dur de venir ici, même pour une simple visite.

Je vous embrasse,

Marc

Cher MarcOù les histoires vivent. Découvrez maintenant