Lettre 41

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Paris, prison de la Santé, le 29 décembre 1994

Ma Rose,

Je sais que tu ne travailles pas aujourd'hui. Je me demande ce que tu fais. J'ai pensé à toi le soir de Noel. Je n'avais pas encore reçu ta lettre, je n'avais pas pensé à cette douleur. C'était évident pourtant. J'espère quand même que le déjeuner chez Brigitte t'a remonté le moral. Je suis curieux de la rencontrer. Un jour, sans doute.

Pour moi, finalement, ça s'est bien passé. Roger a fait une petite entorse au règlement. Il nous a réunis avec Miguel et Loïc et Jacques, le gardien, dans une des salles de visite. C'est Jacques et Roger qui s'en occupaient ce jour-là, donc personne aux alentours. Roger a sorti des sandwichs au foie gras. C'est un peu sacrilège, mais c'était sacrément bon. C'est sa femme qui les fait. Il avait aussi une flasque de whisky que l'on a fait tourner. Discrètement quand même, on ne sait jamais. Ce n'était pas suffisant pour rouler sous la table, mais assez pour se sentir un peu ailleurs. Et on a bien rigolé, c'est le principal. Pour la première fois depuis longtemps, après avoir regagné la cellule, j'ai eu l'impression de m'endormir à l'extérieur. L'alcool sans doute, la gaieté, surement, et peut-être aussi l'imminence de la sortie. J'imagine que ma psyché commence à s'entrainer à la liberté. Je ne sais pas, je spécule bien entendu, je n'ai jamais fait d'études de psychologie... Mais enfin, je suis écrivain, j'ai quelques notions.

Je commence à compter les heures et les minutes, ce n'est vraiment pas un truc à faire, pourtant. C'est le meilleur moyen de ralentir le temps. Je devrais plutôt essayer de me mentir à moi-même et me persuader qu'il me reste 10 ans à tirer, le temps passerait plus vite. C'est de ta faute aussi ! Puisque tu m'as dit que tu m'attendais. Mais ne t'inquiète pas, je suis un impatient qui sait attendre.

Je t'embrasse fort,

Je t'aime,

Ton Marc

Cher MarcOù les histoires vivent. Découvrez maintenant