Déjà sept jours que je me suis éveillée dans cette chambre austère, loin de mon fils, et que je suis forcée d'y rester cloîtrée. À défaut de pouvoir m'occuper comme j'aimais à le faire chez moi ou à la cour, je demeure devant la fenêtre à observer les flocons valser au gré du vent. Cet épais manteau blanc me déprime. Cette danse répétitive me lasse de plus en plus. Je désespère de revoir un jour le soleil dans cette région glaciale. J'aimerais tant pouvoir retourner au moment où je n'étais encore qu'une fille de fermier. Un temps où l'insouciance dominait chaque fibre de mon corps.
— Bonjour, madame Rose. Que regardez-vous ?
Je fixe le reflet de Thomas qui vient d'entrer dans ma chambre. Comme tous les matins, il ferme la porte à clef et la range dans la poche de sa blouse. Peut-être qu'en étant suffisamment rapide, je pourrais la lui dérober, mais il est tellement plus grand que moi. Je pourrais le prendre de vitesse ? Pas sûr...
— La valse des flocons, finis-je par lui répondre d'une voix que j'espère morose.
J'ai bien compris que le personnel soignant qui me côtoie me considère comme folle à lier. J'ai décidé de jouer le jeu pour leur faire baisser leur garde et avoir une chance de m'enfuir. Même si c'est pour aller me réfugier dans la forêt remplie de loups. Il y aura bien une cabane de chasseur dans laquelle je pourrais me mettre au chaud.
Les pas de Thomas résonnent dans la pièce. Je l'observe aller et venir pour y mettre de l'ordre.
— Ça vous sert à quoi de la ranger chaque jour ? Elle sera toujours en désordre lorsque vous reviendrez.
Il se fige face à mes propos. Il se redresse et me scrute, tentant de comprendre le fond de mes pensées. Il finit par secouer la tête, comme s'il se rappelait qu'il a affaire à une aliénée, et reprend son activité.
— Eh bien, ça vous permet d'avoir une bonne hygiène de vie. L'état d'une chambre est le reflet de l'âme de son occupant. Plus la pièce est en désordre, plus son propriétaire est dérangé mentalement parlant.
— Si je suis votre raisonnement, je suis folle à lier ?
Un petit rire de gorge secoue ce géant à la peau basanée. Il se relève après avoir fini de faire mon lit, fait craquer son dos et se rapproche de l'endroit où je suis assise. Une fois à mes côtés, il se laisse tomber sur le canapé qui fait face à la fenêtre. Assez près de moi pour que j'entende ce qu'il s'apprête à dire, mais suffisamment loin, histoire d'éviter tout contact physique entre nous.
— Je ne sais pas, madame Rose. Votre chambre est en effet dans un état déplorable chaque matin, mais vous êtes toujours tirée à quatre épingles. Je n'arrive donc pas à vous cerner : êtes-vous une folle obsédée par son apparence ou bien une personne saine d'esprit qui ne fait que jouer la comédie ?
Je suis clouée sur place par son raisonnement. Mon regard croise le sien à travers la vitre. Il est on ne peut plus sérieux. Il a posé ses coudes sur ses genoux et sa tête dans la paume d'une de ses mains. Ses yeux semblent perdus dans le vide, à la recherche d'une réponse que seuls les tréfonds de mon âme sont à même de lui donner. Mal à l'aise, je me racle la gorge et il revient à lui.
— Excusez-moi, me sourit-il en se levant, j'ai tendance à trop réfléchir. Si vous êtes ici, c'est qu'il y a une bonne raison. On n'envoie pas une personne saine d'esprit en isolement dans un asile.
Malgré les paroles acides qui me brûlent la langue, je ne prononce pas un mot et me contente de faire comme si je me perdais à nouveau dans le ballet des flocons. Je dois être très prudente avec cet homme. Il est intelligent et perspicace. Si je ne prends pas garde, Thomas s'apercevra très rapidement que ma santé mentale défaillante n'est que de la poudre aux yeux. Une simple illusion qui cache derrière elle une intention malveillante et sournoise.
— Vous aimez la neige, madame Rose ? demande-t-il de but en blanc alors qu'il réorganise mon bureau.
— Non.
— Pourquoi ? m'interroge-t-il, réellement intrigué. C'est beau la neige.
— C'est triste et lassant. Je préfère largement le printemps. Les boutons s'épanouissent et illuminent la nature de mille et une couleurs. La neige, c'est blanc, c'est froid et ça vous gèle jusqu'à l'os. Elle cache le soleil et l'empêche d'éclairer le sol, de réchauffer la nature et de la réveiller.
— Mais chaque période de neige est suivie d'une éclosion de fleurs, dit Thomas en arrangeant les rideaux qui encadrent la fenêtre.
— Pas à Gliocas. Les neiges sont éternelles et la saison froide, sans fin. Le réveil de la nature ne se fait jamais dans cette région.
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Blood & Flowers 2 - Rose & Thomas
Werwolf[Tome 2 de "Blood & Flowers"] /!\ Un chapitre tous les mardis et vendredi à 19h00 /!\ Rose doit quitter son train-train quotidien. Henri, son père, devient un soldat de la garde royale et Lila, sa mère, la suivante de la Marquise de Dikaizosyni. Pou...