Je ne prêtais jamais attention à ce qui m'entourait lorsque je mangeais. J'aime la nourriture, alors je l'apprécie en savourant chaque bouchée, les différentes saveurs exquises sur mon palais. Et lorsqu'il m'arrivait de se retrouver avec mes amis pendant le midi, je les écoutais juste d'une oreille distraite. Mon meilleur ami, me connaissant très bien, a fini par se résigner à faire la conversation pour deux. Ça ne lui posait aucun problème de toute manière, puisqu'il était une vraie pipelette et un sujet de discussion ne lui manquait jamais, que ce soit des potins ou la rumeur en cours. Grace à lui, j'étais à peu près à la page de tout ce qui se passait dans notre département, voire dans l'université entière. Je détestais ce genre de chose, mais le prix à payer pour pouvoir manger en paix était de l'écouter. Et c'était donc par les bavardages de Jimin que j'ai entendu pour la première fois le nom de TaeHyung. Oh, ce n'était qu'une brève mention qui m'est aussitôt sorti de la tête quand nous nous sommes séparés. Rien de spécial, je ne me souvenais même pas qu'est-ce que mon ami a baragouiné entre deux bouchées de nouilles. La seconde fois, Jimin m'a désigné discrètement quelqu'un. Mon regard a dévié malgré moi dans la direction indiquée, mais tout ce que j'ai vu ne sortait pas de l'ordinaire : un étudiant plongé dans la lecture d'un livre, avec son plateau repas posé à côté de lui. Une image qu'on voyait chaque jour à la fac, rien de plus. Je me souvenais surtout qu'à la cafète, ce jour-là, on a servi des côtes de bœuf marinées et grillées, accompagnées de légumes. J'avais hâte de goûter. Sur l'instant, je me fichais qui était qui et qu'est-ce que cette personne faisait, pourquoi mon ami me parlait de lui.
TaeHyung était dans le département des beaux-arts ai-je fini par savoir. Leur faculté se situait juste à côté de nous, alors interagir avec eux et les rencontrer fréquemment était une habitude pour nous, les étudiants en sciences du sport et d'éducation physique. Et ça me faisait rire à chaque fois, car de manière générale, nous nous différentions beaucoup : trois fois sur quatre, un étudiant en science de sport s'habillait conséquemment selon cette idée « sport », tandis que les autres de l'autre département avait une style bien à eux ; une style que je ne saurai pas exactement décrire mais qui était clairement plus éclectique que nous. Un style combinant plus la créativité et l'originalité, mélangeant couleurs et motifs. Cependant, la première fois que j'ai croisé TaeHyung, il ne répondait à aucune de ces étiquètes que je m'étais amusé à leur coller : il était banal, discret. C'était bien la première fois que je voyais un étudiant de ce département se vêtir de la sorte ou même dégager une aura comme ça, c'est-à-dire anonyme. Cette constatation m'a fait rendre compte du stéréotype simpliste dont je me suis amusé à catégoriser les étudiants selon leur cursus, et j'en fus honteux.
– Il est anorexique, m'a soufflé Jimin, et, en plus de ne rien manger, il n'a aucun ami, il reste toujours seul et n'adresse la parole à personne. Un vrai antisocial.
Anorexique et antisocial ? Deux abominations dans notre université. En 2024, on prône que bien se nourrir et interagir avec les autres sont deux aspects essentiels du bien-être physique, mental et émotionnel de l'être humain. Une alimentation saine nourrit le corps et l'esprit, tandis que des interactions sociales enrichissantes favorisent le bien-être émotionnel et mental. On affirme que les deux sont interconnectés et contribuent à une vie saine et épanouissante et j'adhérai totalement à ces affirmations. Je me suis retourné et j'ai eu le temps d'apercevoir une silhouette fine noyée dans un énorme pull gris et un pantalon large de la même couleur.
Anorexique et antisocial, ces deux mots ont éveillé mon attention. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que c'était la toute première fois que je rencontrai quelqu'un présentant une maladie mentale sérieuse ou un trouble de ce genre. Je suis de nature curieux après tout.
En rejoignant ma place habituelle, je cherche malgré moi TaeHyung. Je l'ai à peine aperçu les fois précédentes alors je ne savais pas à quoi il ressemblait. Mais le retrouver fut facile : il était le seul à ne pas être entouré, le seul à occuper une table pour quatre. Je m'assieds non loin, et en étant sûr que son livre l'accaparait, je l'ai scruté. Cette fois-ci il portait un pull noir qui jurait avec cette journée printanière. Tout en mangeant, je ne cessai de le fixer. Si la nourriture sur mon plateau disparaissait petit à petit, il n'a pas touché au sien. Je me demandais s'il n'avait pas simplement faim, ou si les gens voyaient juste : il avait un sérieux problème. Je ne connaissais que les grandes lignes de l'anorexie, et que dalle à propos de comment se soigne les maladies mentales ni quelles en sont les causes. Si les autres discutaient et riaient en groupe, si certains jouaient avec leur portable, lui, n'a pas levé ses yeux de son livre. J'étais en train d'engloutir le dernier Hotteok, quand subitement, il relève sa tête et nos regards s'accrochent. Me faire surprendre en train de l'observer m'embarrasse énormément. Je sentais mes joues cramoisies. Son visage n'exprimait rien de significatif, non, correction : son visage n'exprimait rien du tout. C'était comme si ses muscles faciaux étaient figés. Contrairement à la laideur de son pull, ses cheveux brun foncés semblaient éclatants et soyeux. Puis, avant que je puisse reprendre contenance, il baisse sa tête et reprend la lecture de son livre. Au loin, un de mes amis m'interpelle. Je partis, non sans jeter un dernier regard à ce particulier étudiant.
VOUS LISEZ
La douceur de l'utopie - ᵗᵃᵉᵏᵒᵒᵏ
Fiksi PenggemarIls s'aiment plus que fraternellement et alors? Au diable les personnes qui disent que c'est qu'Utopique. [Oeuvre regroupant des petites histoires sur Kim TaeHyung et Jeon JungKook, relatées en une ou en plusieurs parties.]