Chapitre 8

101 6 0
                                        

Dans un bureau de Tucson, au Airport Business Plaza, dans une barre de deux étages complètement anonyme, en dehors du poteau portant le drapeau national, aux fenêtres effet miroir, l'agent Jack Landwick de l'United States Immigration and Customs Enforcement (ICE) se sert un café avant de retourner dans son cubicule tandis qu'un employé du courrier passe de bureau en bureau pour déposer des dossiers, Jack récupérant plusieurs dossiers avant de relever ses messages dans l'intranet et de finalement prendre le premier dossier. Étudiant la demande de révision d'un dossier, il reprend le processus d'examen du dossier et des différentes pièces afin de déterminer si la demande mérite d'aller plus loin en passant par un responsable qui utilisera son pouvoir discrétionnaire ou non. Passant au dossier suivant, il met à jour des informations dans des dossiers avant d'attraper le dossier qui allait l'occuper un moment. Une milice de contrôle de la frontière avait appréhendé douze clandestins et abattu un des passeurs. l'agent Landwick adorait les miliciens, ils faisaient le travail des policiers, là où les policiers ne pouvaient pas être, surveillants vingt quatre heures sur vingt quatre des kilomètres de frontière, sans être payés. Un passeur avait été éliminé, ce qui n'était pas plus mal, l'autre donnerait peut-être des renseignements intéressants sur le réseau. Ce qui l'ennuyait, c'était les douze demandes de réfugiés qui accompagnaient le dossier. Il prit son bloc-notes et commença à prendre des notes pour son document de synthèse, lisant le rapport de police, la déclaration d'un membre de la milice. C'était simple, les clandestins avaient franchi la frontière, la milice leur a demandé de cesser de fouler le sol américain et les passeurs ont sorti leurs armes. Un mort, fin de l'histoire. En soupirant, il prit la première demande de visa pour asile, lisant le texte avec attention, notant un mot sur son bloc-notes. El Diablo. Lisant une autre demande, sautant le passage où l'homme raconte son périple, l'agent Landwick s'attarde sur la description de la femme au visage griffé. Profitant de sa pause déjeuner, il alla s'asseoir à la table d'un agent senior.

« As-tu déjà entendu parler d'un diable dans une milice de ton ancien secteur, les Good Ol' Boys ? » L'agent Landwick regarde son supérieur éclater de rire sans lui répondre, buvant une gorgée de café tout en continuant de manger, avant de continuer de rire.

« C'est quoi, un bizutage ? » demande l'agent Landwick, un peu vexé.

« C'est Lila.

- Lila ? C'est tout, juste Lila ?

- Lila n'existe pas, c'est un mythe. Le croque-mitaine, un fantôme, le diable. J'entends parler d'elle depuis vingt ans, j'ai été enquêter sur place. Il n'y a pas de Lila, par contre ce mythe est efficace et dissuade certains immigrants. Un démon les attend de l'autre côté de la frontière. Si tu cherches dans un de mes dossiers intitulé Lila, tu liras des témoignages plus loufoques les uns que les autres. L'un d'eux, a tenté de passer la frontière en voiture il y a une quinzaine d'années avant que le chauffeur ne prenne une balle en pleine tête. Le gars disait que le passeur roulait très vite et d'un seul coup, il lui manquait la moitié de la tête. On l'a trouvé errant près de Gringo Pass couvert de sang. Il répétait El Diablo en boucle. J'ai des dizaines de témoignages comme ça. J'ai interrogé de nombreux snipers pour leur exposer le tir et avoir leur avis. Condition de terrain, de climat, sans préparation sur un véhicule mobile sur un terrain accidenté, c'est impossible. Un sniper a besoin de préparation, il attend sa cible. Il y a un sniper dans cette milice, une gamine. Une gamine de dix ans à l'époque si je me souviens bien championne de tir régionale, mais impossible qu'elle ait réussi ce tir à une distance aussi importante.

- Donc pas de Lila ?

- Non, mais une légende efficace.

- Mais, et pour ces morts ?

- On s'en fout, ce sont des clandestins et des enculés de passeurs. Il fait nuit, ils ont peur, un gars meurt à côté d'eux et c'est parti. Tu as déjà fait un camping en forêt quand tu étais jeune ?

Rebel HeartsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant