"Je survis à ce qu'on m'a imposé"

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Il sorti trois œufs, du jambon et des tranches de bacon du réfrigérateur et les installa sur le plan de travail où il commença à casser les œufs et à les battre dans un bol à l'aide d'une fourchette. Il alla ensuite sur les plaques chauffantes où il installa une poêle adhésive et y versa les œufs battu. Il revint vers le plan de travail et récupéra le jambon et le bacon. Il coupa le jambon en fines tranches et les fis tomber dans la poêle avec les œufs à peines cuits. Puis, une fois cuits, il ajouta des pincés de tel ou tels feuilles que je n'identifiais pas dans leurs bols transparents où ils les avaient prises. Ses muscles roulaient sous sa peau et il faisait tout avec une précision folle. Il fit basculer les œufs brouillés dans une de deux grandes assiettes qu'il avait pris dans un placard en hauteur, puis il s'attaqua aux tranches de bacon qui attendaient. C'était bien la première fois que je voyais quelqu'un faire à manger depuis des lustres. Surtout à manger pour moi ! En général, les rares personnes qui pouvaient m'offrir quelque chose à manger se contentait d'un chewing-gum trouvé dans leur poche où fouillaient et cassaient les distributeurs qui n'avaient pas un contenu trop louche avec moi, et me proposaient dans leur barres de céréale. Mais ces personnes, je ne les avais jamais rencontrés dans une villa encore doté d'électricité et de produits frais.

-Tu n'as rien contre le jus d'orange ?me demanda-t-il.

-Non, je ne crois pas. Ca fait environ sept ans que je n'ai pas bu de jus d'orange.

Il prit deux verres et les remplis avec du jus d'orange qu'il garda par la suite pour mettre la boîte dans un plateau avec deux assiettes d'œufs brouillés au jambon et de bacon. Je commençais à revoir mon jugement. Si à midi, ce garçon me faisait un repas -ou n'importe quoi d'autre- il allait sérieusement me manquer quand il partira !

-Ne me regarde pas comme ça, ce n'est pas si surprenant que ca de voir un homme faire à manger.

-Si tu le dit.

-Viens, on va dans le salon, ça sera mieux.

Je le suivais pendant qu'il portait le plateau. Le salon était au-delà de mes espérances. Le canapé était géant, gigantesque. Je n'ai même pas les mots pour couvrir les douze mètres de cuire, les quatre mètre d'écran plat, et ne parlons même pas des meubles qui remplissaient la pièce. Une longue petite table en verre essayait de suivre la longueur du canapé et Caleb déposa le plateau dessus. Je remarquais une doudoune marron et un livre épais à terre. Et puis un peu plus loin un pull noire que Caleb alla chercher et enfila avant de se tourner et de prendre le livre et la doudoune qu'il déposa à côté de moi. Une pièce propre et éclairée par la lumière du soleil. Du chauffage, l'odeur d'un bon petit déjeuner, mon sac à côté de moi. Il aurait vraiment fallu que je me lave, mais tout était parfait. Je ne m'étais pas sentie aussi bien, aussi protégée, aussi... normale. Comme si j'étais revenu sept ans auparavant, avec maman, dans le lit de sa chambre en train de grignoter en regardant un film sur l'écran de sa chambre. Sauf que là, je n'étais pas avec ma mère, mais avec un garçon que j'ai rencontré il y a quelques heures à peine et qui allait bientôt disparaitre.

-Si je comprends bien tout ce que tu m'as dit jusque-là, je peux disparaitre à n'importe quel moment et soit retourné dans la réalité, soit resté coincé dans quelque chose d'inconnu, demanda Caleb en prenant son plat d'œufs.

-Oui, c'est ça, lui répondis-je en entamant mes œufs. Quand tu dépasses les 24h, tu peux disparaitre à n'importe qu'elle moment. Et personne n'est jamais resté plus de 72h.

Je dévorais mes œufs et le bacon. Un produit frais et pas des conserves ou des nouilles instantanées au feu de bois ! Des aliments périssables et frais que je mangeais blottis dans un canapé en cuir confortable. Je bus mon jus d'orange en une longue gorgée et m'en pris une autre et déposait mon verre sur la table d'un coup. Le ventre bien rempli je m'emparais de la couverture et l'entourais autour de moi.

-Depuis quand tu n'as pas mangé, me demanda Caleb sans décoler ses yeux de son livre.

-Sans compter les bonbons que j'ai mangé hier et le sandwich que je me suis fait hier dans la cuisine d'en bas... Je n'ai pas mangé depuis avant-hier. Des nouilles instantanées.

Je commençais à m'endormir enroulée dans la doudoune. Et pensais tout de même à aller me brosser les dents et à me laver. Je me sentais sale parmi toute cette propreté. Mais je me sentais trop bien pour bouger d'un pouce.

-Comment c'est à l'extérieur ?

-Vas-y et tu verras, lui répondis-je d'une voix ensommeillée.

Mes boucles frottaient mon visage. Je sombrais de plus en plus dans le sommeil.

-Comment est-ce que tu vis ? Explique-moi comment tu interprète ces apparitions ?

Je lui lançais un regard qu'il n'interceptait pas, ces yeux étant toujours plongés dans son livre. Je me posais également cette dernière question. Je ne pouvais lui répondre que ce que je me répondais tout le temps.

-Je survis. Je survis à ce à ce qu'on m'a imposé. Dis-je. Tu sais, si je m'endors, il y a de grandes chances pour que tu aies disparut.

-Alors dort bien, me dit-il en levant enfin ses yeux de son livre.

-Merci, je lui répondis en souriant

Et je m'endormis.

A Sleepy World    [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant