On trouva Zorgan dans son repaire alors qu'il faisait la lecture à de jeunes adolescents. Il leur lisait son propre traité sur l'art de la guerre. Le maître-penseur pouvait, contrairement à tous ses camarades, disposer de son temps comme il le désirait. Même Numer-lêq s'imposait une discipline quotidienne conforme à ce qu'il exigeait de tous les membres du clan. Depuis longtemps, il avait décrété que Zorgan serait l'exception en disposant d'une liberté totale pour réfléchir à sa guise. Ses pensées façonnaient le chemin de leur liberté à venir, leur disait Numer-lêq. Et il y croyait vraiment.
Ils avaient grandi ensemble, apprenant à combattre la domination ramienne depuis leur plus jeune âge en combinant leurs forces respectives. Durant quelques années, ils avaient tous deux aspiré à la chefferie de leur communauté. Puis, au fil des ans, Numer-lêq s'était imposé comme leader en raison de son indisputable autorité morale, inspirant confiance et loyauté à une communauté clandestine fragile, sans repères et sans espoir. L'amitié qui liait les deux hommes et surtout, la conviction de devoir agir pour leur bien commun, avait décidé Zorgan à se ranger derrière son ami, évitant une lutte fratricide. L'émancipation du joug ramien constituait leur unique raison d'être et Zorgan s'y dévouait corps et âme avec une haine sans borne pour leur ennemi.
Sous leur leadership, la communauté connaissait un essor inespéré. Si Numer-lêq était un homme de terrain d'une redoutable efficacité, capable des plus grandes décisions dans le feu de l'action, Zorgan tenait bel et bien le rôle du maître-penseur, l'échafaudeur de formidables stratégies. D'une sagacité implacable, il était trop cérébral et distant pour se faire apprécier des siens à sa juste valeur. Véritable architecte de leur destinée, il s'avérait pourtant indispensable à sa communauté. Numer-lêq, plus que tout autre, le comprenait et il en avait fait son bras droit.
Le père de Samer-lêq n'importunait jamais son plus proche collaborateur sans raison. Le jeune messager qu'il avait dépêché n'eut donc pas à insister. Zorgan désigna aussitôt un de ses élèves pour compléter la leçon de la journée. Il n'eut pas à questionner son jeune guide pour comprendre, en remarquant son inquiétude, qu'un évènement majeur venait de se produire. Il offrit au coursier de le suivre sans délai et bientôt, il devina qu'ils se dirigeaient vers le puits Azula, alors qu'il dévalait à la course un petit sentier escarpé. Flegmatique dans les moments les plus graves, le stratège conserva son calme durant tout le trajet pour éviter de se perdre en conjectures inutiles.
Ils gagnèrent le fond de la vallée en quelques minutes. Le coursier s'arrêta net devant l'entrée d'une petite grotte, qu'un buisson cachait partiellement. Tout en sueur, il se tourna vers Zorgan et il lui dit :
« Numer-lêq et Afsheen t'attendent aux cellules. Ils ont un prisonnier. » Zorgan s'inséra aussitôt dans la cavité, à peine plus large que lui. Il n'avait plus besoin de guide, il connaissait très bien cet endroit. Située dans le plus profond canyon de la région, cette fissure débouchait rapidement sur l'un des réseaux souterrains les plus complexes découverts par les humanidés clandestins. Malgré les apparences, la grotte s'élargissait rapidement pour former une vaste galerie circulaire. Des crevasses plus en hauteur laissaient filtrer la lumière du jour, offrant un faible éclairage naturel. La galerie constituait le point de départ d'un véritable labyrinthe souterrain, où la lumière solaire cédait le pas à l'obscurité la plus totale.
Le plus surprenant de cette caverne et une véritable fascination pour les premiers humanidés libres se trouvait là, de l'autre côté de l'entrée. Il s'agissait d'un profond puits d'une eau limpide qui couvrait la moitié de la galerie. Un corps flottant sur cette eau transparente semblait suspendu dans le vide : la démarcation entre l'air et l'eau paraissait inexistante. En mi-journée, lorsque les faisceaux solaires pénétraient de biais dans l'enceinte de la grotte par les plus hautes fissures de la galerie, l'eau se teintait d'un bleu nacré. Le soleil, à son zénith, illuminait les profondeurs du puits, rendant le fond parfaitement visible, comme si de l'air et non de l'eau revêtait cette teinte bleutée. Les premiers humanidés y avaient trouvé refuge quarante ans plus tôt et y vouaient depuis une admiration mystique. Le puits Azula, du nom de la défunte mère de Numer-lêq, constituait le centre névralgique de la communauté. Les conseils importants y avaient toujours lieu, ainsi que plusieurs cérémonies.
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Les gondoliers 1: La chute des Safalyne
Science FictionKarajou, une colonie perdue aux confins d'un empire moribond. Sur cette mystérieuse planète, un décès aux apparences des plus banales précipitera la chute d'une dynastie millénaire... Rien n'indique pourtant l'imminence de l'effondrement lorsqu'un i...