Chapitre 24 - Prisonnier de l'Ahra

30 1 0
                                    

Juchée dans les hauteurs de l'Ahra, au pied de glaciers titanesques, la deuxième mine en importance de Karajou paraissait bien minuscule dans ce royaume de glace et de roches aux proportions démesurées. Cette première impression se dissipait néanmoins en survolant de près l'Ahra-2, avec sa fosse à ciel ouvert, ses deux mines souterraines, ses usines hautes de plusieurs dizaines d'étages et sa machinerie géante. Elle subjuguait les visiteurs par ses dimensions vertigineuses.

Une fascination qui cédait le pas à la répugnance au moment du premier contact avec le site, le temps de traverser le tarmac de l'aérodrome. C'est d'abord la grisaille qui frappait, un contraste saisissant avec la blancheur immaculée des sommets enneigés tout autour. Mais surtout, le vent froid, le grondement de tonnerre perpétuel des machines et l'air sale, qu'on peinait à respirer en quantité suffisante à cette altitude, rendaient vite l'endroit détestable. Sitôt arrivé, on désirait repartir – un rêve pourtant impossible pour les quatre cent mille travailleurs humanidés soumis à une existence des plus cruelles dans cet enfer de glace. Sans pouvoir espérer mieux qu'une journée un peu plus chaude de temps à autre, ils s'activaient jour et nuit à extraire le cuivre et l'or des entrailles de la cordillère. Dix mille autres de leurs congénères, à peine plus chanceux, extrayaient le charbon dans une vallée en contrebas pour alimenter ce monstre assoiffé d'énergie.

C'est là, au bout du monde, que débarqua l'inspecteur trois jours après le déclenchement de l'insurrection des humanidés. Suite à son rapt à Nidja, il commença par se réveiller dans une grotte obscure, sans la moindre indication quant à l'endroit où il se trouvait et sans repère temporel. Au travers d'une trappe, on lui offrit un peu d'eau, de la nourriture et de la médication, pour apaiser ses douleurs. Le silence et l'isolement – il le savait trop bien – pouvaient constituer une torture psychologique redoutable et il commençait à redouter de perdre la raison lorsqu'au bout d'un très long moment, quatre humanidés assez costauds surgirent dans sa cellule et lui enfilèrent un sac sur la tête. Allaient-ils l'asphyxier? Non, le sac s'avéra perméable à l'air et ses geôliers, plutôt que de le molester, le guidèrent pendant plusieurs minutes dans un dédale de tunnels qu'il soupçonna être leur repaire. Lorsqu'on lui retira la poche de toile, il était dans un aéronef, face à un humanidé à la peau presque noire, qu'il reconnut comme l'un de ses assaillants. Ce dernier le fixait d'un regard placide et l'agent impérial, encore affaiblit par sa captivité, n'osa pas le provoquer. Il profita de la douce lumière naturelle qui filtrait au travers du hublot juste à ses côtés pour recouvrer ses esprits. Le vol dura près de deux heures et il put regarder le paysage défiler sous ses yeux en reconnaissant l'Agruzze, le Sekhal et les montagnes de l'Ahra. Tout en se repérant du haut des airs, il se questionna sur les intentions de son ravisseur : commettait-il une imprudence ou un acte délibéré en le laissant observer leur trajet?

L'inspecteur baignait dans l'ignorance la plus complète quand ils se posèrent sur la piste enneigée de l'aérodrome de l'Ahra-2 en cette troisième journée de captivité. Lorsqu'il se retrouva sur la piste, exposé à la furie d'un vent glacial, il comprit qu'il n'était pas au bout de ses souffrances. On le conduisit dans un hangar et ce qu'il vit en y entrant le laissa sans mot : des centaines de ramiens démunis et désemparés qui faisaient la file sous l'étroite surveillance de combattants humanidés. Au premier abord, il ne reconnut aucun visage familier. L'absence d'enfants parmi les captifs le frappa. L'hypothèse d'un putsch se confirma. Il aurait voulu interroger l'un des siens mais sa garde rapprochée le força à suivre son jeune ravisseur qui monta un escalier de métal sur le côté du bâtiment. Ils atteignirent le premier étage, une mezzanine où d'autres gardiens postés en surplomb menaçaient de faire feu au moindre signe d'agitation parmi les otages. Ils se dirigèrent sur sa droite, dans une petite pièce froide. Deux fenêtres au fond du local laissaient filtrer un peu de lumière, comme seul éclairage. À contrejour, assis derrière une table, il reconnut au centre de la pièce son autre kidnappeur, celui-là même qui l'avait surpris par derrière dans le bureau des enquêteurs à Nidja. En notant l'absence de chaise, l'inspecteur comprit qu'il allait rester debout pour son interrogatoire.

Les gondoliers 1: La chute des SafalyneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant