Chapitre 25 - Les conspirateurs

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L'amiral Chi-Vargas habitait le Morgal, une région forestière qui charmait la noblesse et les hauts dignitaires impériaux par son climat tempéré, à la fois doux et sec, ses paysages verdoyants et l'eau cristalline de ses nombreux lacs. D'impressionnants pitons rocheux grisâtres, qui jaillissaient çà et là au-dessus de la cime des arbres, rendaient l'endroit spectaculaire. Plusieurs de ces piliers, sculptés naturellement par une érosion mainte fois millénaire, accueillaient de somptueuses résidences. L'amiral, en sa qualité de commandant-en-chef des forces spatiales régulières, habitait l'une d'elles. Perchée au sommet de l'une des plus hautes colonnes rocheuses des environs, sa demeure prenait la forme d'une tour cylindrique opaline aussi large que la masse de roc qui l'accueillait. La base du bâtiment abritait un hangar de plusieurs étages conçu pour loger une dizaine d'aéronefs; le plancher suivant accueillait le quartier des domestiques; les luxueux appartements privés suivaient ensuite sur les niveaux supérieurs. Une verrière culminait au sommet de la tour, à l'intérieur de laquelle un vaste jardin, agrémenté d'un lac artificiel, avait été aménagé. Une bulle de verre, suspendue au-dessus du jardin, servait à la fois d'observatoire astronomique et de boudoir. C'est-là, suspendu entre ciel et terre, qu'il passait le plus clair de son temps lorsqu'il se retrouvait dans sa résidence – un havre de paix qu'il ne visitait que trop peu à son goût. S'il prenait beaucoup de plaisir à séjourner dans sa vaste demeure – le calme de l'endroit et les balades en forêt lui plaisaient – ses responsabilités l'obligeaient par contre à passer plus de temps dans sa suite de fonction à proximité du quartier général de l'amirauté.

Ce soir-là, malgré la crise sur Karajou, il rentra chez lui en invoquant une visite de son fils unique en permission. Malgré son célibat, Chi-Vargas avait veillé à assurer la pérennité de sa lignée en recourant à la reproduction artificielle, une procédure qui n'avait rien d'inhabituel. En combinant ses gènes à ceux d'une matrice maternelle dûment sélectionnée, l'amiral avait donné la vie à un digne héritier deux décennies plus tôt. Comme plusieurs membres de la haute société – soucieux de fournir à son fils un cadre propice à son développement optimal – il le confia dès sa naissance à un centre d'accueil où le jeune ramien passa toute son enfance. Le père et le fils se virent peu au cours de ces premières années; Chi-Vargas s'en tenait aux visites minimales imposées par le centre pour assurer le développement d'un lien filial. Son fils approchait désormais l'âge adulte et l'amiral prenait de plus en plus de plaisir à le côtoyer. Ce dernier, maintenant pensionnaire d'une prestigieuse académie impériale, ne lui rendait que trop peu visite, s'était-il plaint ce jour-là à ses adjoints. Même s'il n'avait pas à justifier ses faits et gestes à sa garde rapprochée, sa récente discussion avec la chef des services secrets le rendait nerveux, et en invoquant la visite de son fils, il avait cherché à éviter toute suspicion.

Il s'agissait d'un séjour à la campagne qu'il avait failli annuler, tant il tenait à discuter avec Gaustag. Il voulait savoir ce qu'elle préparait. Après tout, si elle avait choisi de l'impliquer, en toute justice, elle lui devait la vérité. Il s'était donc résigné à annuler son déplacement vers le Morgal et plus tôt en journée, en sortant d'une audience extraordinaire du conseil de l'amirauté auprès de l'empereur, il en avait informé sa complice. Gaustag sut toutefois le faire changer d'avis :

«Kilsper est chargé de l'opération désormais, lui avait-elle dit. S'il y a quoi que ce soit de nouveau, vous êtes à moins d'une heure du QG. Et puis la visite de votre fils vous changera les idées, vous verrez.

- J'aurais aimé m'entretenir de certaines questions avec vous, avait-il insisté.

- Je vois. C'est votre discussion plus tôt cette semaine avec le docteur Dilmer qui vous inquiète? Alors dites-moi, pourquoi ne pas l'inviter à votre résidence en soirée? Je vous y rejoindrai et nous tenterons de fouiller la question avec lui; qu'en pensez-vous? » Il avait accepté cette proposition sur le champ. En convoquant le docteur, ils s'offraient tous deux une couverture idéale pour discuter du complot sans éveiller de soupçons.

Les gondoliers 1: La chute des SafalyneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant