Chapitre 14 - La révélation

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Il se retrouva assis parmi eux. Un feu de bois au centre du groupe les éclairait. Il jouait du tambour – une musique étrangère et pourtant ses mains se laissaient guider par le rythme effréné qui résonnait en lui. Il ressentait les battements de son cœur dans sa poitrine. Que faisait-il là ? C'est alors qu'il aperçut deux ombres en mouvement autour du feu. À la lueur du brasier, l'inspecteur crut reconnaître la jeune humanidée qu'il avait vu danser la semaine précédente. Leurs regards se croisèrent. Elle savait qu'il se trouvait parmi eux, mais elle n'en dit rien. Elle semblait même s'en réjouir : elle lui sourit. La façon qu'elle avait de se mouvoir l'hypnotisa. Il la découvrait encore plus gracieuse que la première fois. Et menaçante. Les flammes dansaient sur sa peau que la sueur faisait miroiter. Elle bougeait à une allure folle et sans cesse plus rapide. Il comprit qu'elle dansait pour lui. Étrangement, il n'éprouva aucune répulsion pour elle, ni pour les nombreux humanidés qui, devina-t-il, l'entouraient.

Confus, ses battements cardiaques s'accélérèrent encore. Il sentait croître une tension dans la musique, tel un déferlement d'agressivité qui s'invitait dans la danse pour en dicter le rythme. La musique prenait une ampleur assourdissante. Il avait chaud, il se sentait écrasé, étourdi. Il ne comprenait pas ce qu'il faisait parmi eux. La jeune humanidée accélérait toujours. Comment pouvait-elle se déplacer aussi vite ?

Elle s'élança vers son compagnon, une ombre demeurée anonyme, comme si le feu ne rayonnait que pour la jeune danseuse. Elle enchaîna deux saltos arrière coup sur coup. Mais les danseurs étaient trop près l'un de l'autre et son partenaire manqua de temps pour l'esquiver alors qu'elle entreprenait le deuxième saut. Les pieds de l'humanidée percutèrent de plein fouet le torse de son compagnon. Il ne put résister à un impact si brutal, qui le projeta à la renverse. La jeune acrobate ne perdit pas un seul instant et fondit à nouveau vers lui. Ce dernier roulait sur le côté pour se relever. C'est alors que l'inspecteur comprit qu'elle n'avait pas l'intention de porter secours à son partenaire encore au sol. La scène se déroulait à une vitesse stupéfiante ; pourtant il observait chaque mouvement comme si le temps n'existait plus. Il la vit survoler son compagnon – en semblant défier les lois de la gravité – pour venir se poser près de sa tête. Ce dernier ne semblait pas encore avoir compris qu'elle se tenait accroupie à ses côtés, que déjà, elle lui saisit la tête de ses deux mains avec une fluidité déconcertante pour lui briser la nuque.

L'inspecteur en eu le souffle coupé. Il n'y avait plus qu'elle et lui. Elle le regarda à nouveau. Mais cette fois-ci, son regard était noir, terrifiant. Les flammes se réverbéraient dans la prunelle de ses yeux. Il y entrevu une source intarissable de haine. Elle lui souriait à nouveau, mais ce sourire n'avait rien d'innocent. Elle lui montra le visage de sa victime. La vision le pétrifia : le danseur inerte n'avait rien d'un humanidé... C'était un ramien !

Cette vision cauchemardesque le fit sursauter. Haletant, l'inspecteur se retrouva assis sur son lit dans sa chambre plongée dans le noir. Il se leva pour aller entrouvrir la porte qui donnait sur le jardin de l'hôtel, pour apaiser un besoin urgent d'air frais. Une averse tropicale rompait l'immobilité absolue de la nuit. Sans brise, l'air chaud et humide n'avait rien d'agréable et l'image du ramien demeurait gravée dans son esprit. Quel sens donner à ce rêve ? Il l'ignorait.

Debout, dans l'ouverture de la porte, il tentait de recouvrer ses esprits en prenant de longues respirations. La lourdeur de l'air entravait ses efforts ; il peinait à évacuer la tension qui l'habitait. Alors qu'il observait la pluie tomber dru dans le jardin, une idée nette et précise s'imposa. D'une main, il dut s'appuyer contre le cadre de porte, tellement le choc causé par cette révélation l'ébranla : les humanidés feignaient de danser en effectuant leurs voltiges de toutes sortes, tout en prenant bien soin d'éviter tout contact avec leur partenaire pour cacher la brutalité de leurs actions. Mais ils ne dansaient pas, ils combattaient ! En désynchronisant leurs gestes de manière à fondre vers leur partenaire plutôt que de s'évertuer à s'éviter, ils pouvaient se transformer en de redoutables machines de guerre.

Les gondoliers 1: La chute des SafalyneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant