Chapitre 20 - Numer-lêq

17 1 0
                                    

Numer-lêq préparait l'offensive en se cachant dans la plaine de Karthazyan. Son quartier général, un entrepôt de riz plutôt délabré, se situait à proximité de la chute Sakalyne. La plus haute cascade de Karajou s'écoulait ensuite vers la grande rizière en contrebas, où près de cent soixante combattants, dispersés dans les méandres de la plaine, se camouflaient depuis quelques jours. Le chef des humanidés libres misait sur une petite troupe de choc pour renverser l'ennemi. Ce choix stratégique l'obligeait à compenser ses faibles effectifs par une exécution parfaitement synchronisée de l'offensive et chaque jour, il rencontrait ses commandants pour revoir avec eux les détails de l'opération. Il tenait à s'assurer qu'ils comprenaient tous très bien leurs rôles.

Il venait de compléter son briefing matinal lorsque le signal tant attendu rentra : son indéfectible allié lançait les manœuvres. Ils étaient prêts. Après de chaleureuses accolades, les guerriers se séparèrent et leur chef alla retrouver sa fille, Iana, qui dormait encore. Elle logeait dans une cabane en briques d'adobe, sans fenêtre, à quelques pas de l'entrepôt. À cette heure, les lueurs du soleil commençaient à peine à éclaircir le ciel ; les étoiles les plus brillantes du firmament scintillaient encore.

« Iana, réveille-toi, » chuchota-t-il avec douceur dans l'oreille de sa fille. Elle ouvrit les yeux tout en lui souriant. Elle bailla.

« Zorgan vient de lancer l'opération, dit-il en la regardant avec la même tendresse. Nous partons.

- Papa, dit-elle en s'élançant dans les bras de son père. Je t'aime. Promets-moi d'être prudent.

- Je te le jure. Toi aussi, tu vas devoir faire attention. Tu dois attendre mon signal avant de venir nous rejoindre. C'est compris ? » Iana allait prodiguer les premiers soins. Son père avait refusé de la laisser prendre part à l'attaque ; elle devait attendre derrière la ligne de combat avant de monter au front avec son équipe d'infirmiers pour rapatrier les blessés. Sa fille se montrait plutôt indisciplinée et il craignait qu'elle ne lui désobéisse une fois de plus.

« Promets-moi, insista-t-il en la regardant droit dans les yeux.

- C'est promis, papa. »

Il la serra une dernière fois dans ses bras avant de la quitter pour retourner au quartier général. La majorité des trente combattants qui s'envoleraient avec lui se massaient déjà à l'intérieur du bâtiment alors que les autres finissaient d'arriver. Ils se préparaient tous en silence au combat longuement attendu. Une dizaine de minutes plus tard, un rafiot servant au transport des poches de riz vint se poser devant l'entrée de l'entrepôt. Le petit commando alla s'y entasser et l'engin décolla, suivit d'un deuxième transporteur à l'allure tout aussi vieillotte. Ils prirent aussitôt la direction de la capitale. Le voyage, dans un compartiment sans hublot et sans lumière, dura une vingtaine de minutes. Tous demeurèrent muets durant la durée du trajet et lorsque la lumière matinale inonda l'intérieur du compartiment à l'ouverture des portes, ces durs à cuire ne purent s'empêcher d'éprouver du soulagement au contact de cette chaleur solaire, leur ultime réconfort avant l'assaut.

Ils venaient de se poser au centre de manutention alimentaire, où deux autres transporteurs, frigorifiés ceux-là, attendaient les rebelles pour les conduire au siège du gouvernement colonial. Tous les matins, des cargaisons partaient du centre pour alimenter les occupants du palais. Les combattants passèrent d'un cargo à l'autre, en prenant soin de s'emmitoufler dans une couverture pour se protéger du froid. Ils se retrouvèrent à nouveau dans une pièce noire – et glaciale. Ce stratagème allait leur permettre de franchir le périmètre de sécurité du palais ; les couvertures recouvertes d'une pellicule réfléchissante rendraient les insurgés indétectables aux senseurs thermiques.

Les gondoliers 1: La chute des SafalyneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant