Mamila

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Un atelier surchauffé par la forge. Des robots à vapeur. Mamila, soufflet en main, me donne des instructions en désignant, de sa main libre, un plan punaisé au mur. Le cœur est la partie la plus délicate du robot.

« C'est ma grand-mère qui a créé ce robot.

— Ta grand-mère ? »

Le visage de Ken, dans la faible clarté, reflétait son étonnement.

« Tu déconnes ?

— C'était la mécamage de mon village. Il y a sa signature. »

Ma main tremblait. Ma voix aussi. Bon sang... Ken grimpa lestement pour vérifier mes dires. Je lui montrai la fine gravure.

« Mouais... Si tu le dis...

— Je sais reconnaître la signature de ma propre grand-mère, merde ! »

Je voulais qu'il descende de là, qu'il éloigne ses pattes de bidouilleur brouillon et désordonné de cette œuvre délicate, l'idée qu'il saccage le boulot de Mamila me révulsait. Je devais me calmer. Les deux mains posées contre le métal, j'inspirai, les yeux fermés, avant de souffler, lentement, puis de dire :

« Okay... Bon, vous voulez qu'on récupère le cœur ? Je peux essayer de l'ouvrir et de prélever le truc...

— Ça vaut au moins dix mille pièces d'or, fit Ken. On n'a plus de fric. Si on prend les deux...

— Je connais ta délicatesse, donc je veux bien qu'on le fasse, mais c'est moi qui m'en charge et moi seul qui touche les automates. Je connais la fabricante, ses habitudes... Mais y a pas de matériel ici. Il faudrait un palan, au moins.

— J'ai une poulie qu'on peut accrocher par là. »

Il désigna le plafond.

« Bon, dis-je, pourquoi pas... Je vais essayer d'ouvrir la serrure qui protège le crâne. Si on n'y arrive pas, ça sert à rien d'aller plus loin. »

J'examinai le premier jack. C'étaient des modèles simples, uniquement destinés à réaliser des tâches très simples, mais leur facture était vraiment superbe. Je grimpai sur ses épaules. Bon sang, tant de souvenirs remontaient à ma mémoire ! Malgré ce vent glacé, je sentais presque le feu de la forge, sur ma gauche, et je voyais les innombrables vélins épinglés à ma droite, derrière le robot, toutes les notes que Mamila gardait sous les yeux pendant son travail. Derrière, l'établi toujours couvert d'un matériel hétéroclite qui pouvait sembler en désordre à l'œil du visiteur, mais était pour nous simplement entreposé dans le meilleur ordre pour travailler. Et Mamila, juste en bas ou parfois harnachée elle aussi, en équilibre sur un bras de la machine pour me donner ses instructions. Là, pas de baudrier, pas de sécurité, personne pour m'offrir le moindre conseil. Mais mes souvenirs... Oui, cette serrure était vraiment typique des serrures de Mamila, et avec mes trois tiges... Il suffisait de connaître le coup. En une dizaine de minutes je débloquai la serrure.

« Ken, tu peux le bricoler, ce palan ? Sinon on le foutrait en l'air.

— Ouais, c'est bon, j'ai ce qu'il faut ! »

Il avait sorti un incroyable fatras de son sac et s'attela immédiatement à assembler des bouts. Je me remis à l'ouvrage. Bientôt, après avoir ôté quelques pièces, le cœur, infinité de lames de métal imbriquées les unes dans les autres, s'offrit à mes yeux dans toute sa complexité... et fragilité. J'entrepris de le déconnecter de la structure principale. Après l'avoir débranché, je devrais l'accrocher avec une pince spéciale avant de le détacher du châssis. Je n'en avais pas, mais Ken me tendit un outil qui y ressemblait suffisamment pour tenter l'opération.

Secrets d'AcierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant