Passages à tabac

35 6 1
                                    

La fin de l'après midi laissa passer un rayon de soleil doré sur la Rivière Noire. Le vent avait brièvement chassé les résidus de fumée au-dessus du fleuve. Les poches pleines du fruit de mes larcins, je repris le chemin de l'auberge. Mes pas me menèrent à travers la fameuse Place Carrée du quartier marchand, qu'occupait un marché permanent, le plus vaste de la région sinon du pays. À toute heure du jour, on y trouvait une foule empressée de scruter les étals parfois presque vides des commerçants qui tentaient de s'approvisionner malgré la guerre. La rivière en apportait un flot continu qui subvenait alors tout juste aux besoins d'une population peu regardante. Les gens se moquaient de manger tous les jours le même pain et ou la même bouillie, pourvu qu'ils mangent. Mais les denrées alimentaires étaient certainement les plus difficiles à diversifier. La Place Carrée restait quand même l'endroit le plus vivant de la ville, à part peut-être les docks.

Alors que je remontais la rue des armuriers, à quelques pâtés de maison du quartier de l'église, je repérai la massive silhouette d'Hexen qui trompait son ennui en contemplant la vitrine de la Forge d'Esculape, la plus grosse armurerie de la ville. Son visage respirait la mélancolie. Lorsqu'elle m'aperçut, son regard s'illumina d'une brève pointe d'intérêt.

« Jack ! Alors, t'as trouvé ton bonheur dans cette belle ville ?

— Pas vraiment. J'ai cherché quelqu'un qui embauche des mécamages. Je n'ai pas trouvé. Et toi tu as eu une journée intéressante ?

— Bof non. Je me promène. »

La suivre me permettrait peut-être d'en apprendre plus sur ses contacts ou de surprendre des conversations susceptibles de m'en apprendre plus sur leurs activités mystérieuses. Ou tout simplement de continuer à discuter. Elle s'étira. Avec sa hache sur l'épaule, calée dans son support, tenu par un baudrier passé par dessus-sa veste épaisse, même si elle ne portait pas son armure en ville, sa carrure demeurait impressionnante. Ainsi armée, avec son pistolet au côté, elle devenait effrayante. Ça me plaisait.

« J'aimerais visiter les armureries des rues basses. Juste pour voir ce qui se fait. Je n'ai pas encore eu l'occasion d'aller voir.

— Ça me va. »

Nous déambulâmes quelques minutes en silence, nous mêlant au flux des voyageurs et des habitants qui évoluaient en cohue fluide face aux boutiques les plus réputées. Profitant d'un passage dans un réseau de ruelles moins fréquentées, où l'on trouvait une pléthore de minuscules boutiques et quelques forges, ou Hexen s'arrêta pour examiner tantôt des lames et tantôt un pistolet, je demandai :

« Tu viens des Îles, n'est-ce pas ? »

Elle secoua la tête.

« Ma mère venait de l'Île Grande, près de Castilla. Mais ce n'est pas là que j'ai grandi. J'ai passé mon enfance en Ansar.

— C'est pour ça que tu n'as pas beaucoup d'accent. Et comment as-tu rencontré Kurt ?

— Nous nous sommes retrouvés au même endroit au moment où la guerre a éclaté. Nous avons fui les combats en allant vers le sud.

— Tu faisais partie de l'armée ?

— Non. Heureusement, sinon j'aurais été dans la merde ! Non, ça faisait déjà plusieurs années que j'avais renoncé à la carrière militaire. J'avais envie d'aventure, mais l'armée... Ce n'était pas pour moi. Vraiment. Avec Kurt, et Brim et Ken, nous sommes libres. Tout simplement.

— Et vous avez beaucoup bourlingué depuis, alors ?

— Oh oui ! Et nous avons aussi accompli quelques exploits, vois-tu.

Secrets d'AcierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant