Opposition

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Nous l'avions perdu, oui, cela ne faisait aucun doute dès l'instant où nous avions franchis le mur mais nous nous obstinâmes néanmoins plusieurs dizaines de minutes à errer dans les rues embrumées du quartier chic, dérangeant là un mâtin qui aboya à cœur perdu, là un garde qui changea son fusil d'épaule pour le faire bien voir... À la réflexion, nous avons eu de la chance. Il aurait pu être embusqué dans n'importe quel recoin épargné par l'éclairage public, épier le meilleur moment pour frapper n'importe lequel d'entre nous alors que nous lui tournions le dos. Je maudissais notre déveine d'être tombés sur un homme si athlétique qu'il ait tenu la dragée haute même à Kurt, mais en réalité j'aurais dû louer le ciel qu'il ait manqué d'esprit stratège et préféré la fuite au risque de nous affronter un par un. Nous dûmes rentrer bredouilles.

De retour à la maison de Carl Merthen, nous retrouvâmes Hexen dans le jardin.

« Alors ?

— On l'a loupé. »

Elle pinça les lèvres et haussa les épaules.

« En haut, ils ont un prisonnier.

— Pas de blessés chez nous ?

— Non. Elle se débrouille, la petite, avec son flingue. Je crois qu'ils ont aussi déniché quelques papiers intéressants. Montez, je continue à surveiller au cas où un invité se pointerait. »

À l'étage, dans un bureau littéralement sens dessus dessous, meubles renversés, papiers éparpillés en couche sur le sol. Les cadavres de deux hommes avaient été juste poussés contre un mur, où ils se vidaient lentement de leur sang. Brim tenait en joue un homme vêtu de la livrée de la maison saucissonné sur une chaise au milieu de cette gabegie.

« Alors, connard, t'as pas changé d'avis ?

— Mais je ne sais pas de quoi vous parlez !

— Bah, tu vois, moi je m'en fous. C'est pas à moi que tu vas devoir rendre des comptes. Tu connais le capitaine Hellstrom ? »

J'interrogeai Aïdan du regard. Elle ne semblait pas avoir été blessée. C'était vrai, alors. Elle savait y faire avec des flingues.

« Il sait rien, il était juste payé pour garder la maison. Enfin, c'est ce qu'il dit. Mais ce qui compte, c'est ça. Ils l'avaient planqué dans un coffre-fort. Brim lui a fait sa fête. »

Des noms et des instructions, donnés par ordre chronologique. La première liste concernait les femmes enlevées par Edgar Millecombe, qui avait été démasqué par Hexen, Kurt, Brim et Ken quelque temps auparavant. Certains noms étaient rayés, mais pas tous. L'une des instructions, parmi les plus récentes, près d'une seconde liste de noms de femmes, me fit tiquer.

« Retours du petit. Attention à lui, traîne la patte. À recadrer. JT averti. »

Je ne pus retenir un petit ricanement de mépris. « Traîne la patte ». Bien la peine de se démener, hein ? J'avais du mal à réaliser que je ne travaillais plus pour eux. Leur présence avait tellement imprégné ma vie qu'il me faudrait de longs jours encore pour ne plus éprouver, dans des moments de fatigue ou de distraction comme celui-ci, les brèves paniques à l'idée de n'avoir pas récupéré, par exemple, assez d'argent à leur donner, ou d'avoir perdu trop de temps à... À quoi ? Je ne travaillais plus pour eux.

Le dernier nom de la feuille succédait à Ania. Elle n'avait probablement pas été enlevée. Elle faisait aussi partie de la première liste.

« C'est Mira, de mon ordre, expliqua Kurt en me voyant comparer les listes. Elle avait été libérée in extremis la première fois. »

Secrets d'AcierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant