Secrets d'Acier

Plans

Mamila était terriblement... Usée. Je m'en rendis compte avec d'autant plus d'acuité que nous arrivions à la lumière de l'entrepôt. Je l'aidai à descendre, ce qu'elle fit avec précaution. Nous avions sensiblement la même taille à présent, ça me faisait un choc. Elle qui était tellement plus grande que moi, plus forte ! J'avais toujours nourri, peut-être, l'idée que si je retrouvais Mamila, je pourrais me reposer sur elle, qu'elle pourrait, comme lorsque j'étais l'enfant dans son atelier, réparer mes erreurs. Elle était tellement douée pour ça ! Elle réparait toujours tout ce qui était cassé. Mais maintenant... Le temps s'était enfui et m'avait traîné jusqu'à l'âge adulte. Celui où l'on n'a que soi-même pour réparer ses fautes, même quand on est nul.

Lucine nous accueillit. Elle salua Mamila et l'invita à s'asseoir et à profiter de la chaleur d'une boisson chaude. Un silence religieux se fit alors qu'elle aidait Mamila à retirer son vieux châle mangé aux mites et l'aidait à s'installer. J'avais choisi une table assez centrale, pas trop isolée, pour permettre à mes compagnons de se poster à proximité s'ils voulaient écouter ce que nous dirions. Je savais que nous allions parler de Tedsbourg et de l'Ensecret, ce serait une bonne chose qu'ils l'entendent. Ken se posta effectivement à portée d'oreille, rapidement suivi par les autres. Manfred s'approcha également et quand il croisa mon regard, leva un sourcil en manière d'interrogation. Oui, maintenant, je lui faisais confiance et j'étais prêt à ce qu'il entende ce que j'avais dire. Je le lui signifiai d'un léger signe de tête. D'autres encore s'assirent à proximité. Quelques prisonniers. Matilda. Ania, sur les genoux de Kurt, les bras passés autour de son cou, la tête sur son épaule. Mais autant furent-ils curieux, tous, autant ne s'assirent-ils pas directement à côté de nous, laissant à Mamila et moi un cercle d'intimité pour nos retrouvailles. Je leur en fus reconnaissant. On servit un thé à Mamila. À la lumière des lampes, je pus détailler son visage. La fatigue et le désespoir y avaient creusé tant de nouveaux sillons... Elle me prit les mains et désigna mes doigts manquants d'une caresse. Son sourire s'empreint de tristesse.

« Je suis heureuse de te voir, mais tu es si maigre... Et qu'est-il arrivé à tes mains ? »

Je pris une inspiration. Finalement, nous avions tous les deux eu un parcours assez similaire, obligés de collaborer avec nos bourreaux. Bien que cela me coûte d'avouer encore une fois, je lui racontai tout. Ses mains ne lâchèrent pas les miennes pendant mon récit. Ses yeux ne lâchèrent pas mes yeux, bien que j'aie, moi, du mal à la regarder en face alors que je lui expliquais comment j'avais accepté de jouer les espions, puis les assassins et d'apporter des richesses à ceux qui avaient détruit nos vies. Pourtant, si quelqu'un, une seule personne au monde, pouvait me comprendre, c'était bien elle. Elle qui avait mis son art à leur service et accepté de construire pour eux de formidables robots – sept m'avoua-t-elle, dont certains – c'était très grave – affranchis de la restriction universelle d'attaquer des êtres humains. Elle m'en fit l'aveu avec à la bouche un pli que je ne lui avais jamais vu. Jamais je ne l'avais vue dégoûtée d'elle-même. Je changeai de sujet. Pour nous racheter, nous devions aller de l'avant. Ensemble.

« Sais-tu qui sont ces gens ? »

Elle réfléchit un instant.

« Ça a l'air d'être une très grosse organisation. J'ai entendu le nom « Ensecret ».

— Moi aussi.

— Qu'ils aient attaqué Tedsbourg aussi vite m'étonne. Pendant combien de temps es-tu revenu au village ?

— Je n'ai jamais cessé. Mais la dernière fois, ça date d'il y a plusieurs mois.

— Donc ils l'ont tenu pendant très longtemps. Et ils se sont arrangés pour que personne ne s'en inquiète, bien qu'Orven soit une cité assez importante. Ou ils ont des moyens financiers, ou ils ont mis en place une sorte de routine pour que les visiteurs ne se doutent pas de ce qui se passe... Mais ce qui les intéressait vraiment, je ne sais pas si... »