Sur les docks déjà animés, marins, marchands, commis et saisonniers se croisaient, se rencontraient et s'esquivaient en une danse perpétuelle. Les caisses de marchandises, les chariots, l'odeur de poisson, d'huile rance et de marais qui imprégnait tout, le sol glissant et sale, les cris des mouettes et des marins, les grands automates à vapeur qui déchargeaient ou chargeaient les navires de marchandises en partance pour la Pointe du Monde... À part l'odeur d'iode, tout entretenait l'illusion du bord de mer. Mais en face, malgré la fumée jaunâtre mêlée des restes de brumes matinales qui la masquait encore partiellement, l'autre rive de la Rivière Noire était trop proche pour figurer l'infini de l'océan. Lors de mon premier passage à Corbe, je m'étais interrogé sur l'origine de ce nom, sans trouver de réponse puisque l'eau de ce cours n'était pas plus noire ici que celle de son affluent la Queue du Dragon. Les autres quartiers de la ville, en face et sur ma droite, laissaient d'ailleurs largement entrer l'eau de la rivière dans les rues, sur lesquelles circulaient de petits navires transportant hommes et marchandises. À la réflexion, ce n'était pas l'eau qui s'infiltrait entre les bâtiments, mais les bâtiments qui investissaient, grâce à un opportun emplacement de petites îles, le domaine de la rivière, grappillant sur les marécages. Il serait bon, un jour, d'aller visiter ces architectures portuaires, toutes en arches, ponts et débarcadères. En attendant, j'esquivai de peu un jet d'eau sale jetée du pont d'un navire et me mis en quête du Dragon Endormi.
« J'ai égaré un papier récemment, vous ne l'auriez pas trouvé par hasard ? »
Lui, je l'avais repéré dès qu'il avait franchi le seuil de la porte. Ma place dans la taverne, dos au bar, près du mur mais face à la porte, m'avait permis d'observer toutes les entrées depuis mon arrivée. L'étranger, un homme vêtu simplement mais de belle stature, au regard clair perçant, menton souligné d'un fin collier de barbe sombre, sourit quand je lui tendis mon parchemin.
« Ah bah voilà ! Merci. »
Il empocha le manuscrit, s'assit et leva la main droite. Presque aussitôt, la serveuse lui apporta une bière mousseuse, et je bus cul-sec le reste de mon lait de chèvre. La pause de la journée était terminée.
« Alors, où en es-tu ?
— Je n'ai rien trouvé qui soit en rapport avec ce qui nous occupe.
— Détaille. »
Je lui fis le compte-rendu précis des derniers jours, particulièrement vide de quoi que ce soit susceptible de l'intéresser. D'ailleurs, son expression se durcit au fur et à mesure de mon récit, qu'il interrompait fréquemment de questions abruptes.
« Et ils ont de la famille ici ?
— Le gobelinae a un oncle ici, et le moine a sa copine.
— C'est pas interdit, ça ?
— Je ne sais pas, mais ils ne se cachaient pas.
— Son nom ?
— Ania.
— Et ?
— Il a aussi son chef spirituel, qui leur a donné quelques missions si j'ai bien compris, mais sinon ils ne me semblent pas d'ici.
— Tu es sûr ? »
Je soupirai.
« Non. Je ne sais pas d'où sont, mais la guerrière loge à l'auberge, donc j'en déduis qu'elle ne connaît personne ici. Ils ont tous passé un temps infini chez l'alchimiste pour qui ils étaient partis en expédition en forêt, et chez les marchands d'alentour, mais rien de différent du quotidien des aventuriers qui fonctionnent sur le mode du mercenariat.
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Secrets d'Acier
FanfictionComment Sen, douze ans, apprenti mékarcaniste talentueux, est il devenu quelques années plus tard Jack, roublard, voleur et assassin? Dans un pays en guerre, sur un paysage Steampunk de révolution industrielle où tous les coups sont bons pour sur...