Rencontre

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« Si tu veux souder ce machin, fais-le proprement, utilise un fer à souder !

— Mais, Mamila, maman ne veut pas que j'y touche, elle dit que je suis trop petit !

— Tu es dans la cuisine de ta mère ou dans mon atelier, là ?

— Dans ton atelier...

— Alors c'est qui qui commande ? »

Aussi loin que remonte ma mémoire, j'ai toujours passé le plus clair de mon temps libre dans l'atelier de ma grand-mère. C'était une femme grande et sèche, un peu bourrue, qui vivait au centre du village dans son échoppe-atelier accolée à une maison toujours en désordre. Entre ces quatre murs en pierre blanche, elle avait entassé tout ce qu'elle avait amassé en des dizaines d'années d'aventures. En conséquence, sa maison comme son atelier regorgeaient de trésors mystérieux, parfois dangereux, toujours aussi attractifs que l'aimant l'est au fer pour des mains de petit garçon avide de découvertes.

Très tôt, elle m'avait toléré dans son atelier et presque aussi tôt, elle m'avait appris des tas de choses comme manier des outils, souder, construire, lire la magie, écrire la magie... Ce que ma mère, qui m'apprenait à lire les lettres et manier balais et épée, n'aurait pas été capable de faire.

Ma Mamila était une femme sévère. Ses cheveux gris étaient toujours coupés très court, pour ne pas risquer de la gêner dans la forge. Leurs reflets d'acier donnaient l'impression qu'elle était elle-même taillée dans le métal, avec ses pommettes hautes et son nez aquilin. Elle était tellement habituée à travailler dans la chaleur la plus infernale qu'elle ne la sentait même plus. C'est probablement la raison pour laquelle personne ne la dérangeait quand elle était à l'atelier, la chaleur. Je crois qu'au début j'avais eu un peu de mal, mais le bonheur d'être dans ses pattes, me tenant à l'extrême limite de la « ligne autorisée » imaginaire qu'elle traçait dans l'air d'un doigt noueux, à observer le moindre de ses faits et gestes derrière la visière du casque de soudeur qu'elle avait mis à ma taille, compensait largement. Et je finis par m'y habituer tellement à la fournaise que moi non plus, je ne la sentais même plus.

J'ai encore en mémoire le bruit de son marteau sur le métal, l'éclat de ses yeux derrière ses lunettes, qui n'avait rien à envier, quand elle était en colère, à celui de sa forge. L'odeur caractéristique qui se dégageait de son atelier me revient aussi facilement que celle de ma mère, et passer devant une forge ravive souvent, rien que par le parfum âcre et piquant, les souvenirs enfouis de mon enfance.

Dans sa maison, elle avait un coin spécial, un vaste bureau de bois ciré presque enseveli sous les vélins, où elle rédigeait des parchemins de magie. Ces mêmes parchemins lui servaient ensuite dans sa forge, pour lui faciliter le travail ou finaliser les plus fines œuvres « mécamagiques ».

Un jour, je devais avoir une dizaine d'années, elle m'avait envoyé grimper au sommet d'une œuvre colossale, commande d'un notable éloigné, une créature en métal tellement haute qu'elle avait dû faire démolir une partie de son plafond pour la construire dans son atelier. Rien que la réalisation de la tête, chef-d'œuvre de mécamagie, lui avait pris des mois de travail intensif. Les schémas et plans avaient sûrement envahis jusqu'à son sommeil, puisqu'ils hantaient aussi les miens. Je me trouvais donc juché en équilibre instable, comme souvent, sur le haut du crâne de la machine, quand elle me demanda de lancer mon premier sortilège en « situation de travail ». Elle me l'avait fait apprendre la semaine précédente, il consistait à lever une petite pièce, d'un ou deux kilos maximum, pour la placer, par télékinésie, à l'endroit voulu. Je me souviens encore de son regard lorsque je me tournai vers elle en disant :

Secrets d'AcierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant