Des plaques en métal noir

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« Il y a quelque-chose que je ne comprends pas, dis-je. Pourquoi est-ce que le Père Madera vous avait envoyé enquêter sur l'enlèvement de ces femmes la première fois ?

— Parce que deux des femmes enlevées étaient des prêtresses de mon ordre, répondit Kurt. Et le rôle des moines est de protéger tout ce qui appartient à l'ordre.

— Donc il aurait pu donner la mission à n'importe qui, c'est ça ?

— Oui, bien sûr.

— Il n'y avait pas de euh... lien ? Entre toi et une des prêtresses ?

— Non. C'est juste tombé sur moi. Ça aurait pu être n'importe qui d'autre.

— Et ce seraient les mêmes personnes qui recommencent à enlever des femmes de l'ordre ?

— Il n'y a pas qu'Ania ! Hellstrom nous a dit qu'au moins une autre femme avait disparu dans des circonstances étranges dernièrement.

— Ce qui est étonnant, c'est que dans une ville comme Corbe, y en ait pas plus, des disparitions.

— On parle de suspicions d'enlèvement, pas de n'importe quelle disparition. Bref. Lorna Kall, dix-sept ans, serveuse à la Taverne du Puits dans les docks, au nord-ouest, s'est volatilisée. Elle a quitté son travail et n'a pas reparu. C'est le tavernier, un certain Rogg Haltim, qui a signalé sa disparition. C'était une albienne, arrivée l'année dernière. Elle bossait bien et aimait son travail, expliqua Hexen.

— Et pourquoi elle serait pas tout simplement partie ?

— Elle avait une chambre au-dessus de l'auberge, toutes ses affaires y sont.

— Et si elle pourrissait au fond de la rivière ?

— Un témoin a vu deux hommes porter une femme dont la description ressemble à celle de Lorna. D'où l'idée d'un enlèvement. »

Bon sang... Et si c'était ça, que mes commanditaires essayaient de cacher ? Si c'était le cas, l'enlèvement d'Ania, probablement voulu comme un avertissement, était une erreur monumentale puisqu'il attirait de nouveau l'attention des aventuriers sur Millecombe ou son successeur. Quelle bêtise ! Tout se précipitait alors que je n'avais même pas eu le temps de refaire mon stock de somnifères...

« Bien, pendant que vous y allez, je vais retourner vers la personne qui m'avait employée hier soir, je devais repasser le voir... hasardai-je.

— Faudrait que quelqu'un l'accompagne, il s'est déjà fait faire péter la gueule une fois en y allant, déclara Aïdan de sous son chapeau. Je viens avec toi.

— Mais j'ai pas besoin d'une nounou ! Et nous sommes en plein après-midi, c'est très différent de la dernière fois !

— Ne discute pas, c'est dangereux. Ça ne te suffit pas de t'être fait tabasser une fois ? »

Mais qu'est-ce qui pouvait bien la motiver à vouloir me suivre ? Ou me faire suivre ? Je doutais qu'il s'agisse de simple bonté d'âme, son regard vert perçant ne reflétait aucune compassion. Sourire en coin, Ken m'attrapa par la manche et glissa, assez fort pour qu'Aïdan entende :

« Mais t'as qu'à la paumer dans les ruelles...

— On vient de se faire agresser... Comment peut-il vouloir y aller tout seul ?

— Tu peux pas le forcer, c'est presque du viol... Pis si ça se trouve, il veut aller à un endroit sans que tu le saches... T'as qu'à le suivre à distance, ricana Ken.

— Rha, vous êtes idiots, tant pis pour toi Jack, va te faire péter la gueule si tu veux, on récupérera pas les morceaux. »

Je haussai les épaules et m'éloignai d'un pas rapide. Par des coups d'œil discrets, des haltes judicieusement choisies, je surveillai si j'étais suivi. J'estimais qu'une grande gigue au chapeau ne devrait pas être trop difficile à repérer mais j'ignorais ses réelles compétences. Le temps relativement clair entraînait les gens à sortir. Plus facile, partant de là, de se cacher dans la foule, à la fois pour un poursuiveur, mais aussi pour un poursuivi. Je pris la direction du quartier des marchands d'épices, suivant le vague souvenir d'avoir vu une échoppe d'apothicaire mieux achalandée que les autres au cours de mes précédentes pérégrinations. Je finis par dénicher la petite boutique parfumée au coin d'une ruelle pavée pas trop enfumée. Averti de mon entrée par un joli carillon, le patron m'accueillit d'un sourire moustachu, derrière son comptoir patiné par le temps.

Secrets d'AcierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant