39 - Le monde nous appartient

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Titre: Le monde nous appartient
Genre: Improvisation, spiritual, friendship, OS, tranche de vie, un soupçon de angst
Contexte: Post-tout ce que vous voulez
Personnages: Aphrodite (PDV), Shura, DeathMask
Remarques spéciales: Désolée de ne pas publier grand chose en ce moment, je suis prise par mes études et ma flemme. Oh, et je dédie ce texte à Shiikibashi et à Kuna, mon Trash Duo <3
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Vous vous souvenez, les garçons ? On se donnait rendez-vous à la nuit largement tombée. Quatre heures du matin, ou trois quand on se sentait plus courageux. Tels des voleurs, nous sortions à la dérobée de nos temples, à l'insu de nos maîtres, de nos voisins, des gardes, de tout le monde. Et pourtant nous ne voulions pas nous cacher. Seulement il était impossible de faire autrement pour ce que nous faisions. Et s'il était considéré comme un crime de fuir nos obligations et braver le couvre-feu pour une telle chose, nous étions alors les plus heureux des criminels, insouciants comme rarement depuis que la destinée des Chevaliers s'est imposée à nous. Chacun de nous voyait dans ces sorties quasi-quotidiennes l'accomplissement de son idéal: l'affranchissement de toute loi et la provocation pure et simple, les petits plaisirs qui nous rappellent que nous avons le droit d'être humains, ou encore dans mon cas la possibilité de contempler une œuvre naturelle d'une incroyable beauté.

Alors nous sortions sur la pointe des pieds. Nous nous retrouvions au pied de l'olivier, derrière la maison de la Balance. Puis nous nous mettions à marcher. Au fur et à mesure que nous nous éloignions des Douze Maisons, nos pas devenaient plus assurés, plus vifs, plus légers aussi.

C'est alors qu'on commençait par errer comme des âmes en peine dans le Sanctuaire. Nous contournions les restes de colonnes, enjambions les blocs de marbre affaissés, frissonnions quand la morsure du froid venait s'abattre sur nous. Et puis, toujours ce même doute, cette même rengaine.

- On ferait pas mieux de rentrer ? Si jamais les gardes nous trouvent là...
- Ouais, puis il caille !
- Non, surtout pas. Il faut qu'on tienne jusqu'au bout.

C'était devenu comme une mission de la plus haute importance pour laquelle il fallait tenir, supporter, attendre, résister. Car vous le savez bien, ce qu'il y avait au bout de notre escapade valait tout l'or du monde, et il nous fallait le rappeler chaque nuit que nous passions dehors.

Alors nous cherchions de quoi nous occuper en attendant le moment fatidique. Cela allait des bains de minuit au cache-cache dans le noir, en passant par les simples discussions à voix basse ou, quelques années plus tard, les premiers jeux de coquins. Je me rappelle tout particulièrement d'une nuit où nous avions été jusqu'à Rodorio explorer le village endormi. Vous étiez en train de vous imaginer dans un film d'horreur tels ceux qu'affectionnaient vos défunts maîtres.

- Hé, on est bien d'accord que dans ce genre d'histoire c'est la gonzesse qui meurt en premier ?
- Tu parles de moi, là ?
- Hum... C'est souvent le cas, oui. Mais c'est aussi souvent celui qui ne prend pas le problème au sérieux qui se fait avoir le premier.
- Pfah ! Aucun risque ! De toute façon qu'est-c'qui peut bien nous arriver ici ? Un village paumé protégé par un kekkai et au pire habité que par des vieux. Franchement on est c-

Et là, je me rappelle précisément de l'aboiement perçant et régulier qui nous avait tous faits sursauter. Ni une, ni deux, nous nous étions mis à courir comme des flèches, persuadés d'être poursuivis par un énorme monstre. Quelques mètres plus loin, en nous apercevant que rien ne nous suivait et qu'il s'agissait probablement du chien de l'épicier qui avait du nous voir passer, nous nous étions laissés aller à un fou rire hystérique, riant, riant à gorge déployée car plus rien d'autre n'avait d'importance à ce moment-là que notre bêtise.

Essoufflés, nous avions ensuite pris tranquillement le chemin qui nous mènerait au lieu qui mettrait fin à notre longue errance, à la destination de notre parcours. En effet, nous nous étions enfin décidés à retrouver notre coin de paradis, là, sur l'herbe et le sable secs à moitié recouverts par les flux légers d'une mer si calme qu'elle paraissait lac. Comme il nous était ordinaire de le faire, nous nous étions allongés sur le dos, observant ainsi les étoiles qui nous faisaient déjà leurs adieux. Parfois nous nous amusions à reconnaître quelques constellations qui se déployaient sous nos yeux, et parfois même l'un d'entre nous se levait pour aller attraper un quelconque animal passé dans son champ de vision - pour jouer avec et le relâcher aussitôt.

Mais alors que nous sombrions presque dans la somnolence, le moment tant espéré nous parvint enfin. Nos yeux firent alors la rencontre d'un soleil timide, encore perdu dans les brumes vaporeuses de son sommeil, hésitant à se lever. Par la pensée, je soutins l'astre diurne, l'invitant à nous irradier de sa beauté, de sa chaleur et de sa prestance à nouveau.

- Dites... Vous ne trouvez pas que le soleil est super courageux, de se lever tous les matins pour éclairer un monde cruel et sans pitié ?
- C'est vrai...
- Ben nan, c'est rien qu'une boule de gaz, le soleil, il peut pas être courageux ! C'est plutôt le monde sans pitié qui a du culot de vouloir s'lever et voir la lumière du jour une fois de plus !
- ... C'est vrai aussi.

Nous cueillions le jour. Telle était notre opération quotidienne, la mission que nous donnions. Nous avions l'impression d'être les premiers à avoir l'honneur de contempler la naissance du jour, et c'est ainsi que nous nous étions même mis à penser que le monde était en réalité nôtre. De nos mains élevées vers le firmament, nous faisions monter le soleil, de plus en plus haut, si haut, si haut qu'il en devenait inaccessible. Nos yeux peignaient le monde qui nous entourait. Après tout, ne dit-on pas que le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt ?

Aujourd'hui, nos petites réunions nocturnes ne sont plus. Nous avions fini par n'être que deux, puis je me suis retrouvé seul, notamment le dernier jour de ma courte existence, où il m'a semblé qu'à aucun moment le soleil ne s'est montré. Cette nuit perpétuelle annonçant déjà ma mort m'a fait si mal, j'ai tant souffert d'attendre un jour qui n'est jamais venu...

Mais tous les jours aux aurores depuis mon retour à la vie, je viens assister au lever de l'astre d'Apollon. Et puisqu'il se lève à nouveau, c'est que vous êtes là, quelque part, revenus pour faire sourire et espérer cette grande étoile qui nous a vus grandir et nous lier d'une amitié que même les dieux ne sauraient ébranler.

Saladier d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant