Chapitre un

34.5K 1.6K 1.6K
                                    

« Le manque est un sentiment destructeur. Il vous broie de l'intérieur, vous tord les entrailles et vous éclate le cœur. Le plus douloureux, c'est que même éclaté, un cœur bat encore. » - Harry

Il se tient toujours à un mètre de moi au-dessus du vide. J'ai l'impression que l'éternité dure encore, je veux qu'elle s'arrête. Mon cœur bat toujours aussi rapidement. Je sais qu'il ne va plus sauter mais tant qu'il ne sera pas revenu au sol, tant qu'il ne sera pas sur la terre ferme, tant qu'il ne sera pas loin du bord, loin de la mort, je n'arriverai pas respirer correctement. Si un éclair n'avait pas fendu le ciel je ne me serais même pas rendu compte qu'il est en train de pleuvoir. Les larmes me brouillent la vue. Je chiale et je m'en fous de chialer, je veux juste qu'il descende de là. Je veux juste le savoir en sécurité. J'ose à peine bouger de peur qu'il tombe. C'est stupide car je sais qu'il ne va pas tomber mais je suis encore paralysé. J'ai peur de parler, peur de dire une mauvaise chose, j'ai peur de dire une connerie et de le voir disparaître encore une fois. Je n'en peux plus de ce silence. Je n'en peux plus de le voir immobile sur ce rebord.

"Et maintenant ?"

Sa voix est brisée. La pluie et les larmes m'empêchent de voir son regard, pourtant je ressens toute sa souffrance, j'ai l'impression qu'elle me broie de l'intérieur.

"Et maintenant, commence déjà par descendre de là. Je n'ai pas envie que tu tombes par accident."

Parce que je n'ai pas fait tout ça pour rien, je n'ai pas vécu l'enfer et réussi à le sauver pour qu'il trébuche malencontreusement. Il met trop de temps. J'ai envie de me jeter sur lui, de l'attraper par la taille et de le faire descendre moi-même, mais je ne fais rien car je suis incapable de bouger. Je ne vois pas la fin arriver, j'ai l'impression que l'éternité dure encore plus longtemps, trop longtemps, puis il finit par sauter souplement. Merci mon dieu. Et quand ses pieds touchent enfin le béton, quand il est enfin au sol, j'ai l'impression de sentir mon cœur exploser dans ma poitrine. Le soulagement qui m'envahit n'a pas de nom.

Je passe par toutes les émotions possibles et inimaginables. Je ressens tellement de choses en même temps que je reste un long moment immobile à ne pas savoir quoi faire, à ne pas savoir comment réagir. J'ai envie de le prendre dans mes bras, de l'embrasser, de le frapper, de le torturer, de le tuer et de l'embrasser encore. De l'embrasser pour mieux le frapper, le torturer et le tuer. Tout se bouscule dans ma tête. Après avoir vécu l'enfer pendant neuf jours, j'ai l'impression de sentir un poids étouffant se retirer de mes épaules. J'ai l'impression de réellement respirer à nouveau, comme si pendant neuf jours, on m'avait compressé le cœur et qu'on le libérait enfin. Je pleure de soulagement, j'ai envie de hurler de joie à m'en casser la voix que ce cauchemar horrible soit enfin terminé. J'ai envie de lui gueuler dessus d'avoir osé me faire vivre tout ça. En fait j'ai envie de tellement de choses que quand il fait un pas vers moi, je choisis sûrement la pire de toutes : La colère. Je craque. Je relâche toute la pression que j'ai accumulée ces derniers jours et je le pousse brusquement par les épaules.

"Espèce de connard !"

Toute la peur, tout le stress, toute la panique que j'ai ressentis cette semaine se transforment en colère que je n'arrive pas à contrôler. Je me mets à gueuler en le poussant encore.

"T'avais pas le droit de faire ça !"

Je sais que c'est sûrement la dernière chose à faire et la dernière chose dont il ait besoin maintenant, mais c'est plus fort que moi, je ne contrôle plus rien. Je me défoule sur lui comme pour lui faire payer l'enfer qu'il m'a fait vivre. Il pleut, on est complètement trempés, les larmes ravagent toujours mon visage mais j'en n'ai rien à foutre. J'ai eu trop peur de le perdre pendant neuf jours pour penser à ma fierté maintenant. Je crois qu'il a compris que j'en avais besoin. Que j'avais besoin de craquer car il me laisse faire. Il me laisse le pousser, il me laisse me défouler sur lui sans protester. Je le pousse encore.

DEGRADATION Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant