Journal d'Harry

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17 jours après le jour 100.

Je n'y arrive pas. Hier, je l'ai laissé seul encore une fois. Je n'y arrive pas. J'ai essayé. J'ai vraiment essayé mais je n'y arrive pas. Je ne peux pas. C'est trop dur. J'ai peur de m'endormir à ses côtés. J'ai peur de me réveiller et qu'il ne soit plus là. J'ai peur d'ouvrir les yeux et de voir sa place vide dans le lit. Je ne peux pas. Je ne le supporterai pas. Je ne peux pas. Je ne veux pas. Je ne peux pas. Je ne peux pas. C'est plus fort que moi. Je ne peux pas. Je ne veux pas ouvrir les yeux et voir qu'il a disparu comme elle. Je ne dors plus en ce moment, je n'y arrive pas. J'ai trop de choses dans ma tête et elles m'empêchent de dormir ou alors je fais des cauchemars. Des cauchemars horribles. Il y a une semaine, j'ai rêvé du pont. J'ai rêvé qu'il était sur le pont. Je lui ai hurlé de ne pas sauter, de rester avec moi mais il ne m'a pas écouté. Il a sauté et quand je me suis précipité pour le rattraper c'était trop tard. Puis j'ai vu son corps. Sur la route, ce n'était plus le sien. C'était celui de Sam. Je ne veux plus dormir, je ne veux plus faire ces rêves. Ils me font trop de mal. J'ai... j'ai arrêté mon traitement. Je sais que je ne devrais pas mais les antidépresseurs me fatiguent et je ne veux plus dormir. J'en ai repris hier parce que j'en avais besoin, je me sentais trop en colère. Je ne sais pas pourquoi. J'étais juste en colère et je ne supportais plus de l'être. Je n'avais plus envie d'être en colère. Je voulais dormir. Je ne voulais plus que la drogue m'aide à rester éveillé. Je voulais seulement me reposer. Je voulais seulement être quelqu'un de normal pour une fois, alors j'en ai repris. Trois je crois. Ça n'a pas d'importance. J'ai dormi toute l'après-midi et quand je me suis réveillé, il était là. Vraiment là, pas seulement dans mon esprit. Il était allongé à côté de moi et j'ai tellement eu peur qu'il disparaisse que j'ai eu besoin de me réfugier dans ses bras pour m'assurer qu'il était bien là. Les médicaments étaient trop forts, j'ai résisté. J'ai lutté contre le sommeil. J'avais trop peur de m'endormir et qu'il ne soit plus là à mon réveil. Je n'ai pas réussi à tenir, je me suis rendormi. Il était là. Quand j'ai ouvert les yeux, il était toujours là. En réalité il était totalement allongé sur moi, comme si c'était lui qui avait eu peur que je m'en aille. Ses jambes étaient emmêlées aux miennes, il dormait sur mon torse. Ça m'a fait étrange, je me suis senti bien. Je l'ai regardé dormir un moment, puis je m'en suis voulu de me sentir aussi bien dans ses bras. La dernière fois que je me suis senti aussi bien en me réveillant, c'était trois jours avant la mort de Sam. Je m'en suis voulu et je m'en veux encore. Je sais que c'est stupide mais quand je me sens bien avec lui, c'est comme si je cherchais à effacer les souvenirs de Samantha. La dernière fois que je me suis senti bien en me réveillant, c'était grâce à elle et maintenant... depuis hier, la dernière fois que je me suis senti bien en me réveillant, c'est grâce à lui. Je crois que je lui en veux. Je sais que ce n'est pas de sa faute mais sans le savoir, il vient de remplacer un souvenir auquel je tenais. Et je m'en veux encore plus, car j'ai aimé me réveiller dans ses bras. J'ai aimé ne pas avoir cette boule au ventre qui me fait mal à chaque fois que j'ouvre les yeux et que je suis seul dans mon lit. Je suis désolé, ma main tremble et mon écriture devient illisible. Je crois que j'ai pris un peu trop de cocaïne. J'ai recommencé. Cette nuit, je n'ai pas pu m'en empêcher. Je l'ai regardé dormir encore une fois. Il bouge beaucoup, j'ai dû le recouvrir au moins une dizaine de fois. Il parle aussi. Je n'ai pas compris ce qu'il disait, ça ressemblait plus à des bruits qu'à des mots. Je sais juste qu'à un moment, il a prononcé mon prénom avant de s'accrocher à moi. Je crois qu'il rêvait de moi. Je m'en veux d'être comme ça avec lui, je m'en veux de l'abandonner comme je le fais à chaque fois, mais c'est plus fort que moi. J'ai trop peur d'ouvrir les yeux un matin et de me rendre compte qu'il n'est plus là. Je n'avais pas vu que j'avais écrit autant. Je crois que je vais arrêter. Ma main tremble trop et ma tête commence à tourner. Je sais que je devrais me calmer avec la drogue mais je n'y arrive pas. Je le ferai. Plus tard. Pas maintenant, car j'en ai trop besoin pour ne pas dormir.

Si Harry abandonne chaque matin Louis, c'est parce qu'il est terrifié. Terrifié à l'idée d'oublier ou de remplacer ses souvenirs avec Samantha. Terrifié d'ouvrir les yeux et que Louis ne soit plus là. Quand il s'est réveillé seul dans son lit le jour de la mort de Samantha, il a assimilé cette solitude à sa mort. C'est comme un traumatisme. Dans sa tête, il ne cesse de penser que s'il ne s'était pas endormi cette nuit-là, quand Samantha se serait réveillée le lendemain et aurait voulu partir, il l'en aurait empêchée. Après ce qu'elle avait vécu dans la nuit, il ne l'aurait jamais laissée seule. Et si elle n'avait pas été seule, elle n'aurait jamais pu se rendre sur le pont. Et si elle n'avait pas pu se rendre sur le pont, elle n'aurait pas pu sauter. Si Harry ne s'était pas endormi, il aurait pu la sauver. Il s'en veut. Il est rongé par les remords et la culpabilité et tous ces remords et cette culpabilité se sont transformés en traumatisme. Un traumatisme qui l'empêche de se réveiller aux côtés de Louis. Un traumatisme qui le détruit de l'intérieur.

S'il est incapable de se réveiller aux côtés de Louis, c'est parce qu'il a peur qu'à son réveil, il ne soit plus là. Il a peur d'ouvrir les yeux et de voir une place vide à côté de lui. Encore une fois.

Parce qu'il y a des traumatismes qui sont durs à dépasser, Harry a besoin de temps.

DEGRADATION Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant