Chapitre dix

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On peut le faire.

« William Shakespeare a écrit : "C'est de ta peur que j'ai peur." Quand je ferme les yeux, j'imagine Louis prononcer ces mots. Je refuse qu'il ait peur de ce qui m'effraie. Je refuse de l'effrayer avec mes peurs. Ce sont mes peurs. Les miennes, pas les siennes. Je refuse qu'elles le détruisent comme elles me détruisent moi. » - Harry

J'ai longtemps imaginé mon premier réveil aux côtés d'Harry. En réalité, à chaque fois que j'ai ouvert les yeux et qu'il n'était pas là. Comment ça se passerait. Je crois que j'avais imaginé le réveil parfait. Celui que l'on voit dans les films et qui nous donne envie. J'aurais ouvert les yeux et il aurait été là, déjà réveillé, penché au-dessus de moi en train de me regarder dormir. Je lui aurais souri avant de lui dire Bonjour d'une voix enrouée, il m'aurait répondu d'une voix encore plus enrouée que la mienne avant de m'embrasser. On aurait pris le petit déjeuner dans les bras l'un de l'autre sans sortir du lit pendant des heures. Connard aurait mangé la moitié de nos croissants et moi j'aurais bien trouvé le moyen de renverser mon jus d'orange et lui ? Lui il aurait souri. Il se serait sûrement moqué de moi avant de m'embrasser encore une fois. Ouais je sais, dans le genre cliché, je n'aurais pas pu faire pire mais c'est comme ça. C'est comme ça que j'ai toujours imaginé notre premier réveil ensemble. Tous les deux. Heureux. Comme ça et pas autrement.

Mais ça ne s'est pas passé comme ça. Rien ne s'est passé comme je l'avais imaginé. Quand j'ai ouvert les yeux, il n'était pas penché au-dessus de moi à me regarder dormir. Non. Quand j'ai ouvert les yeux et que je l'ai vu endormi à mes côtés, mon cœur ne s'est pas mis à battre à toute vitesse de bonheur et de joie comme il aurait dû. Au contraire, il s'est brisé. Il s'est brisé comme si la veille il avait seulement commencé à le faire et qu'il terminait, quand j'ai posé les yeux sur lui. La première chose que j'ai ressentie, c'est de la fierté. Vraiment. J'aimerais pouvoir décrire ce sentiment de fierté que j'ai ressenti en voyant qu'il était là, là auprès de moi, pour la première fois. Que pour la première fois, il avait réussi à ne pas partir, mais ce sentiment a vite disparu pour céder la place à un sentiment de douleur, quand j'ai réalisé qu'il n'aurait pas dû être là. Parce que c'est faux, il n'a pas réussi, il n'aurait pas dû être là, il était seulement trop épuisé pour partir. C'est comme si le sommeil l'avait piégé contre son gré. Avant ce matin, je ne savais pas qu'on pouvait pleurer dans son sommeil et pourtant... Des larmes coulaient silencieusement sur ses joues, pas des grosses larmes, mais des larmes quand même. Comment peut-on pleurer en dormant ? Pendant plusieurs secondes, je me suis demandé s'il dormait réellement ou s'il n'avait pas simplement les yeux fermés, mais non. Roulé en boule et blotti contre moi, sa respiration était calme et régulière. Il dormait vraiment et c'est ça qui a été le plus dur à accepter, qu'il dorme. Qu'il dorme réellement. Qu'il dorme en pleurant, qu'il pleure en dormant, qu'il souffre même pendant son sommeil. Quand on dort, c'est le moment où l'on est censé être apaisé, tout oublier, ne plus souffrir mais... mais ses traits, les traits de son visage, ils étaient trop douloureux à voir, à supporter. Ils reflétaient toute sa souffrance comme s'il souffrait sans cesse, qu'il n'avait droit à aucun repos. Et j'ai eu peur. J'ai eu mal. Tellement mal que j'en ai eu peur et j'ai compris que rester serait une erreur. Que ce matin-là n'était pas le nôtre parce qu'il ne voulait pas être là, parce qu'il dormait dans mes bras comme j'ai toujours rêvé qu'il le fasse, mais qu'il n'y était pas bien. Qu'il n'était pas prêt pour ça, qu'il était seulement épuisé et mal et qu'il s'est effondré. Et je ne sais pas ce qu'il s'est passé dans ma tête mais j'ai paniqué. J'avais l'impression qu'en restant à ses côtés, qu'en attendant qu'il se réveille, c'est comme si je le trahissais.

Notre premier réveil ensemble compte encore plus pour lui que pour moi, je ne veux pas lui enlever ça. Ça a trop d'importance pour lui et je ne veux pas qu'il le vive comme un échec, parce qu'il n'a pas réussi de lui-même, mais seulement à cause de la fatigue. Ce qui s'est passé hier soir a été très dur à vivre, autant pour lui que pour moi. Il me suffisait de poser mes yeux sur lui pour savoir que les blessures qu'on s'est infligées, étaient encore plus vives que la veille. Sont encore plus vives que la veille, qu'une nuit ne peut pas les effacer, ce serait trop simple.

DEGRADATION Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant