Chapitre neuf

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Qu'il aille se faire foutre.

« Je veux disparaître. Je veux disparaître. Je veux disparaître. » - Harry

Les larmes me brouillent la vue, mes mains sont crispées sur le volant. Je tremble tellement que j'ai du mal à conduire. Je n'arrive pas à croire ce qu'il vient de se passer, et l'image de sa hanche ne quitte pas mon esprit. Mes jambes dérapent sur les pédales, comment peut-il se faire ça ? Comment peut-il se torturer à ce point ? Comment peut-il se faire endurer ça ? Il ne vient pas de me dire qu'il ne veut plus jamais me voir. Il n'a pas pu, il n'a pas le droit. J'ai merdé. J'ai merdé comme le plus grand des connards. La route défile devant mes yeux et plus je m'éloigne de lui, plus j'ai l'impression de me briser de l'intérieur. Ses mots résonnent dans ma tête encore et encore. J'essuie d'une main les larmes qui coulent sur mes joues, mais ça ne sert à rien, elles ravagent de nouveau mon visage la seconde d'après. Comment peut-il penser que je vaux mieux que lui ? Comment peut-il croire qu'il est minable à côté de moi ? C'est lui le malade et pourtant quand je suis avec lui, j'ai l'impression que c'est moi qui ne suis pas normal. Il n'a pas le droit de croire qu'il vaut moins que moi. Je pleure tellement que j'ai du mal à respirer. Et ces marques, ces cicatrices, comment ai-je pu ne pas les voir ? Je l'ai touché, je l'ai caressé, j'aurais dû les sentir même sous le tissu. J'ai l'impression que tout s'effondre autour de moi. Je me suis planté, je ne l'ai pas sauvé ce soir-là, je l'ai laissé tomber et il s'est enfoncé sous mes yeux. Sous mes putains d'yeux. Il a continué à sombrer sous mon putain de regard et je n'ai rien vu. Je n'ai rien fait. J'ai tout foiré. Il ne veut plus me voir.

Je ne veux plus jamais te voir.

Ses mots, Je les entends comme s'il était encore en face de moi. Je le revois trembler, les poings serrés. Je revois ses yeux verts et la douleur dans son regard. Comment tout a pu dégénérer à ce point. Comment tout a pu merder pour qu'on en arrive là. Alors c'est ça avoir le cœur brisé ? Avoir tellement mal qu'on n'est plus capable de respirer. Non. Non, je refuse. Je n'ai pas signé pour ça. Je ne suis pas tombé amoureux de lui pour souffrir comme ça. Je n'ai pas choisi de l'aimer pour qu'il m'arrache le cœur. Je frappe mon volant avec rage. Je ne supporte plus toutes ces larmes qui me ravagent. Je voulais seulement l'aider. Il n'a pas le droit de me rejeter. Il n'a pas le droit. Il n'a pas le droit de...

"PUTAIN !"

Je n'ai rien vu, je n'ai pas eu le temps. Je roulais à contre-sens. Les phares du camion qui arrive en face m'éblouissent, je ne vois plus rien. Je ferme les yeux, c'est le klaxon lourd, fort et long qui me ramène à moi brusquement. Je braque violemment le volant et je l'évite à la dernière seconde, ma voiture s'immobilise à quelques centimètres à peine de la barrière de sécurité. Je regarde les phares du poids lourd disparaître dans mon rétroviseur. C'est comme si le temps s'était arrêté, je sens mon sang battre dans mes tempes à m'en faire mal, je tremble de tout mon corps. Je ne réalise pas, ce qu'il vient de se passer.

Tout s'est passé vite. Trop vite. Mes mains sont accrochées à mon volant, de la sueur froide coule dans mon dos, je suis pris de vertiges. Je crois que je vais m'évanouir. Je défais ma ceinture, j'ouvre ma portière et j'ai à peine le temps de faire deux pas et poser mes mains sur mes genoux que je vomis. Les images se mélangent dans ma tête. Les phares, ses larmes, les miennes, le klaxon, ses mots, ses entailles. Ses entailles... Je les revois encore dans mon esprit et je vomis. Je vomis tout ce que j'ai et ce que je n'ai plus. Je crois que je suis sous le choc. De tout. Je ne pensais pas qu'on pouvait vomir une souffrance et pourtant c'est ce que je suis en train de faire. Je vomis toute ma souffrance au bord de la route. Je vomis à en avoir mal au ventre, je sens mes entrailles et mes boyaux se contracter et se tordre. Je me demande quand ça va s'arrêter. Et ses foutues larmes qui ne cessent de couler. J'ai l'impression de vomir pendant une éternité. Je n'en peux plus. Quand ça se calme  enfin, j'attrape la bouteille d'eau qui traîne sur ma banquette arrière et je me laisse tomber au sol contre la portière. Je suis à bout de forces, vidé. Je ne réalise plus rien. Mes yeux sont perdus sur la route, je repense à ce qui s'est passé. À mon réveil, au déjeuner dans ses bras, c'était le plus beau réveil de toute ma vie. Au cauchemar de la fin de soirée. Parce que c'est exactement ce que je suis en train de vivre, un cauchemar. En réalité je repense à tout. À tout depuis le début. À ce jour-là, dans le couloir devant l'amphithéâtre quand il m'a bousculé sans s'excuser. Le jour où j'ai reçu son premier mail. C'était il y a 162 jours. Il est presque 2 heures du matin, on est lundi. 62. C'est le comptage que je suis censé lui envoyer aujourd'hui mais est-ce que j'en ai encore le droit ? Est-ce que ça rentre dans son : 'je ne veux plus jamais te voir' ? J'ai perdu Anonyme aussi. Je le sais. Je les ai perdus tous les deux et je me perds à mon tour.

DEGRADATION Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant