Chapitre deux

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« Euripide a écrit :  "Le silence est un aveu." Le silence est lâche. Il est la faiblesse des mots. Le silence n'est  pas un choix, il est la seule solution que l'on trouve quand les mots nous échappent. » - Harry

✉ 5.

Et j'attends devant l'écran de mon ordinateur. Encore. Il ne m'a pas répondu depuis quatre jours, il n'est pas venu en cours non plus. J'essaie de ne pas trop m'inquiéter, car je vois qu'il se connecte tous les jours, qu'il lit bien mon mail, mais c'est plus fort que moi, je ne peux pas m'empêcher d'avoir peur. Chaque nuit je rêve de lui, enfin, c'est plutôt des cauchemars, car chaque nuit je le revois sur le pont au-dessus du vide. J'ai peur à chaque seconde qu'il recommence mais je n'ose pas lui dire. Je me dis que s'il n'est pas venu en cours ou que s'il ne me répond pas, c'est qu'il a besoin de temps. Après tout, ça a dû être dur pour lui aussi. Surtout pour lui, en fait. Il était prêt à mourir. J'ai des frissons rien que d'imaginer que pendant cent jours, à chaque fois que je lui écrivais, à chaque fois qu'un jour passait, c'était un jour de plus qui le rapprochait de la mort. J'en ressens presque des sueurs froides dans tout mon corps. Il est toujours en vie. Je ne sais pas ce qu'il se passe dans sa tête mais s'il a réellement passé cent jours avec l'idée qu'il allait mourir, être encore vivant aujourd'hui ça ne... je ne sais pas. En fait, je me demande vraiment ce qu'il doit ressentir. J'aimerais parler avec lui, lui demander mais je n'ose pas. Il est tellement renfermé que je ne veux pas prendre le risque de le voir se fermer encore plus à moi. Je ne sais pas quoi faire et en réalité, je ne suis pas certain d'avoir la force de parler de ça. Ça a été trop dur à vivre et c'est encore trop récent pour réussir à en parler comme ça. Et surtout, je ne sais pas si lui, il a envie d'en parler. Je crois qu'à sa place, je n'en aurais pas envie, moi.

Mes yeux fixent toujours l'écran et je réalise que si j'hésite autant, c'est parce que je ne sais pas comment m'adresser à lui. Maintenant que je sais qu'Anonyme est Harry, est-ce que je dois lui parler comme avant ou l'appeler par son prénom ? Je ne sais pas comment agir. Peut-être que c'est pour ça qu'il ne me répond pas, peut-être qu'il ne sait pas lui non plus. Je commence à taper :

✉ Salut Harry.

Mais je souffle. Quelle horreur, ça sonne complètement faux. J'efface et je retape.

✉ J'ai envie de regarder un film.

✉ Moi aussi.

✉ Je te laisse choisir.

✉ Massacre à la tronçonneuse ?

✉ J.A.M.A.I.S

✉ Pourquoi ?

✉ Parce que.

✉ Tu n'aimes pas les films d'horreur ?

✉ Non.

✉ Tu as peur ?

✉ Pas du tout.

✉ Alors pourquoi tu n'aimes pas ?

✉ Parce que.

✉ Tu as peur.

✉ NON !

✉ Si, tu as peur.

✉ Tu ne veux pas regarder l'Âge De Glace ? C'est chouette l'Âge De Glace. Personne ne se fait trancher de membres dans l'Âge De Glace.

✉ J'adorerais regarder l'Âge De Glace.

Et après cinq jours, je souris enfin pour la première fois. Parce qu'il est là, parce que la meilleure façon de s'adresser à lui était la nôtre, parce que je crois qu'autant lui que moi, on avait besoin que tout redevienne comme avant. On avait besoin que rien ne change, on avait besoin de retrouver ce lien qu'on s'est créé, celui qui nous a unis. On a regardé le film ensemble, on a ri à cause de Sid. Enfin moi j'ai ri, mais je crois que lui aussi. Puis j'ai râlé parce qu'à cause de lui, j'avais l'image d'un mec flippant avec une tronçonneuse parce que oui, je suis clairement une poule mouillée devant les films d'horreur, ET ALORS ? Il m'a dit que je ne risquais rien, car on n'était pas au Texas. Ouais, sauf que les psychopathes, ça existe partout donc j'ai sûrement dû l'envoyer balader deux ou trois fois. Je ne sais plus. Je lui ai dit que ce serait de sa faute si l'on me retrouvait mort, le corps découpé en morceaux parce qu'il m'aura porté la poisse.

DEGRADATION Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant